Pierrette Jouan
Nous revenons du Chamonix Film Festival, première édition, la soirée se termine tard. Un panini indigeste dans la main, nous marchons d’un pas las, vers les Gaillands, où nous attend Malamute, le camion qui nous offre le repos où que nous soyons. Nous évoquons le lendemain. Florent veut aller grimper, sa semaine dans les Dolomites approche à grands pas, il aimerait se mettre en condition, et il est vrai que le film à propos de la grimpeuse Julia Chanourdie nous invite à cet élan. Pour ma part l’envie de me mêler à la roche me saisit les mains, le corps… mais cette roche, je la sens dans les hauteurs… Cela fait 3 semaines que nous sommes redescendus du refuge du goûter, et le glacier et ces massifs d’en haut m’appelle si fort… J’apprends chaque jour à exprimer plus clairement mes envies, lorsque l’on s’est construit en étant au service de l’autre, il faut déconstruire, puis reconstruire. Florent m’y invite « et TOI qu’as-tu envie de faire ? » « Allez là-haut !! » ça sort du cœur, des tripes, ça me surprend même tellement c’est puissant ! Force est de constater que l’intensité du souhait n’est pas contrôlable. Zian, un jeune cristallier de la vallée que je suis allée voir dans l’après-midi, m’a glissé une envie dans l’oreille, en évoquant les conditions extraordinaires de l’Arête des Cosmiques, j’en fais part à Florent que la fatigue plonge dans une profonde réflexion. Il est épuisé après ces jours de shootings et de formations, et n’est d’abord pas emballé par cette idée. Je tente de le convaincre avec véhémence. Quelques secondes… je me calme. S’il ne le sent pas, il ne faut pas forcer, il faut sentir pleinement quand il s’agit de là-haut… « peut-être as-tu raison, nous verrons demain matin ? » Je ne sais pas encore prendre en compte la logistique qui environne une course, peut-on décider la matin pour la journée même ? Combien de temps faut-il pour préparer ? Comment se passe la réservation de la benne ? Pouvons-nous réserver au lever, demain matin, si nous sentons que nous avons la forme et l’envie d’aller là-haut ? J’essaie d’imaginer comment ne pas être trop contraints. Nous arrivons au bord du lac un peu avant 23h30, la nuit est belle et étoilée, quelques nuages viennent s’assoupir sur le sommet du Mont Blanc. Florent est soudainement ragaillardi, et ne parle plus de l’ascension du lendemain comme d’une hypothèse, mais comme d’un fait. Arête des Cosmiques, arête à Laurence sont évoquées, il n’est pas enthousiasmé par les Cosmiques à cause du rappel qui nous demandera peut-être beaucoup de patience, il m’explique que ce rappel peut générer de nombreuses cordées au même endroit. Je le rejoins alors dans son hésitation, car ce n’est pas la présence humaine qui m’attire en ces hauts lieux. Nous verrons demain. Je regarde le nombre de places dans les premières bennes le lendemain matin, 18 à 9h, 38 à 9h10, les places abondent, je propose à Florent de réserver une des benne lorsque nous nous réveillerons, afin de ne pas faire la queue le lendemain matin, et de garder tout de même une marge, si jamais la nuit ne nous offre pas suffisamment de repos. Nous terminons les projections pour le lendemain ainsi. Le dôme étoilé bien installé, créant notre cocon de nuit, à peine les corps lovés, le sommeil vient nous cueillir. Il nous offrira le repos continu jusqu’au délicieux chant des oiseaux, entrainant notre éveil vers les premières lueurs, puis le réveil un peu avant 7h.
Je saute du lit pour prendre mon téléphone et réserver une benne… plus possible. Evidemment, les réservations le jour même sont souvent rares en ligne ! Et bien soit, le mouvement est enclenché, nous irons, quoi qu’il advienne. Pour ma part, si la benne est trop tardive, monter et faire une randonnée glacière est une possibilité, mais Florent ne s’en réjouit pas. Je ne crois pas que je pourrais rester en bas, j’ai « besoin » de monter, cette sensation m’habite sans que je puisse l’expliquer. Nous préparons nos affaires tranquillement, Florent va avoir le temps de préparer tout le matériel technique, pendant que je me prépare avec une lenteur excessive. Je refais 6 fois ma natte, mes mains ne sont visiblement pas encore bien réveillées ! Mes belles, je compte sur vous pour la suite ! Dernière action avant le départ : je chausse pour la première fois mes Nepal cube, elles sont lourdes et cela me taraude quelques instants. Cependant je n’ai pas pris mes chaussures d’été, donc, nous ferons équipe ! Mes petits pieds tout fins semblent perdus dans ces massives bottes de 7 lieux ! Nous enclenchons la marche, j’ai l’impression d’être dans les chaussures de Thomas Pesquet ! Elles sont si denses que leur poids m’emporte dans leur course, lorsque le sol est en pente descendante. Grâce à ces 20 minutes de marche jusqu’au pied de la remontée, j’ai le temps d’appréhender les sensations avec ces nouvelles compagnes. La lumière du jour est déjà intense, la chaleur sera de mise aujourd’hui. Nous sommes vendredi, et avec ce beau temps, nous imaginions une file d’attente immense, mais arrivés à la gare, nous constatons qu’il n’en est rien ! Nous sommes servis par une adorable dame qui nous indique que la prochaine benne disponible est celle de 8h50. Parfait ! Nous disposons donc d’une demie heure pour aller chercher de quoi nous régaler dans la boulangerie que nous affectionnons. Leurs barres de céréales et pains sportifs sont tout ce dont j’ai besoin ! Nous prenons aussi deux autres mets salés ainsi qu’une gourmandise pleine de crème et de chocolat pour Florent et une brioche pour moi. Nous n’avons pas déjeuné, ce n’est pas toujours une nécessité pour moi. Je n’ai jamais compris les discours sur l’impérative régularité des repas… ne peut-on pas aussi être simplement à l’écoute de son corps ? Nous revenons vers la plateforme et la prochaine benne indiquée est la nôtre, pourtant il est à peine 8h40, les chiffres changent 21, 22, 20… je suis perplexe, j’imaginais un système logistique rigide ! Florent m’explique que nous pouvons de toute façon monter dans n’importe quelle benne pourvue de places libres, peut-être même celle qui se présente ! Nous nous avançons alors et… nous y entrons ! Elle est de toute façon loin d’être pleine. Florent discute avec quelqu’un. « Antoine Mesnage » me glisse-t-il… pas trop la mémoire des noms… « high line… Argentière », des images d’un film vu récemment me reviennent à l’esprit, je situe. L’équipe avec laquelle il monte est fort sympathique, je manque de peu d’en embrocher un avec mon piolet, pas encore très à mon aise ! Il me rabroue gentiment. Les joyeux vont poser une high line juste à côté de l’Aiguille du midi… j’imagine… de jolies étoiles valsent dans les yeux ! Aiguille où nous arrivons rapidement, je vois alors l’arête pour descendre remplie de cordées ! Mon cœur se serre, je ne pensais pas qu’ici, cette situation existait, cela ne m’avait pas effleuré l’esprit, mais c’est pourtant évident, nombreux sont ceux qui viennent prendre pied sur le glacier par cet accès, ces embouteillages humains doivent être légion. Qu’importe, j’irai à la rencontre du glacier. Pendant la montée, j’ai gardé à l’esprit que cette ascension de plus de 2700 mètres était à prendre en compte pour mon corps. Ainsi naturellement, ma respiration, mes mouvements, tout mon être s’est mis en adaptation. Aujourd’hui j’ai décidé de ne pas trop boire, pas trop manger, pour ne pas sursolliciter mon organisme. J’ai parfois tendance pendant un effort, à anticiper mes besoins. Cette fois-ci je vais tâcher d’être à l’écoute au fil de l’effort, simplement. Mon premier de cordée m’invite à m’installer avant l’entrée du tunnel, afin que nous nous harnachions du matériel sans lequel nous ne saurions être ici en paix. A la lecture des récits des pionniers, je comprends le confort dans lequel nous évoluons à présent. Je remercie ces derniers d’avoir créé l’élan de l’accessibilité pour qu’aujourd’hui, malgré mes capacités loin d’être hors normes, je puisse accéder à ces géantes des cimes. Pendant que nous nous apprêtons, Florent demande à l’alpiniste assis à côté de lui quelle a été sa course du jour. Je perçois de la joie dans l’échange… et je m’en délecte ! A peine amorcée, la course est déjà sertie d’allégresse ! Le guide qui accompagne cet alpiniste croise un confrère, et lui explique qu’il guide des membres de l’association 82-4000, Florent me glisse que c’est une association qui accompagne des personnes issus de « milieux défavorisés » (Que je déteste les cases dans lesquelles nous classons les gens…) vers les sommets des 4000. Peu importe, pour moi, là-haut, d’où tu viens n’a aucune importance. Si tu es dans cet environnement, en conscience dans le cœur et l’esprit, tu es alpiniste. Point. Fins prêts, nous nous avançons vers le portail, la voie est déserte ! Le temps de nous préparer, plus personne sur cette première descente. Un visiteur nous demande en pointant direction la dent du Géant : « Mont Blanc ? » Non, mate, il va falloir remonter sur la terrasse pour prendre ton joli cliché souvenir et rentrer avec les yeux et le cœur emplis de ce sommet majestueux. Le portail se dresse sous les mains de Florent, il me connait. Une pause. Je demande. Oui. Nous sommes accueillis par les éléments. Merci, merci. Je suis emplie de cette sensation de présence immense, ma joie déborde, je suis si vivante d’être ici ! La puissance du glacier, de la montagne, me transperce et parcours tout mon être, quelle intensité !
Nous entamons la descente qui nous mène sur le replat du glacier, Florent m’invite à ne pas utiliser la main courante afin de tester mon pied du jour. Les débuts ne sont pas très adroits, j’ai pris froid dans le couloir et je tremblote. Lorsque nous passons enfin au soleil, la chaleur me donne de l’adresse et l’avancée se fait calmement. Un guide nous dépasse sur la droite avec son client, je comprends alors que la neige porte en dehors de la trace, mais je ne m’y tente pas, j’avance pas à pas sur cette trace déjà bien creusée. Nous arrivons après quelques temps sur le replat. Florent me montre alors l’arête des Cosmiques…. C’est très très peuplé ! Nous décidons d’avancer en contournant l’Aiguille du midi, direction le Mont Blanc du Tacul pour observer l’arête de Laurence. Je me sens si bien à marcher sur le glacier, mes sens sont réceptifs, j’entends, je sens, je goûte, je me laisse guider par la majesté des lieux. Florent me montre alors la montagne en face de nous et m’explique que nous pouvons aller sur le Mont Blanc du Tacul, la voie est tracée et belle, la rondeur et la douceur de cette voie m’attire instantanément, elle me parle. Mais j’ai aussi ce besoin profond de contact avec la roche et cette voie en est exempt. J’hésite alors. Aussi parce que quelques jours auparavant, en discutant avec Thibault Icard, un guide de la compagnie d’Annecy, j’apprends que l’arrivée de l’arête des Cosmiques se fait devant les visiteurs et que leurs yeux nous renvoie alors, une sorte d’image héroïque. Mon égo a bien envie de tester ! Je ris de moi-même ! Mais je me tempère, discute avec cette partie de moi qui a besoin de cette reconnaissance, est-ce vraiment si nourrissant ? Est-ce bien cela que je suis venue vivre ici ? Je tente un compromis et demande à Florent si nous pouvons aller sur le Mont Blanc du Tacul et revenir par l’arête des Cosmiques. Il est un peu tard, mais Florent me dit que c’est peut-être envisageable… il réfléchit… et c’est alors qu’il me montre deux alpinistes dans une seconde voie qui mène au Mont Blanc du Tacul. Je les repère et essaie de deviner le reste de l’itinéraire, Florent m’explique patiemment ce que je ne trouve pas seule. La voie est belle, très belle… et déserte ! Seuls ces deux alpinistes, en milieu de voie. Je ne connais pas vraiment mes capacités donc je ne projette rien. Florent regarde son téléphone quelques instants pour confirmer sa pensée : c’est bien cela, la voie en condition ne nécessite qu’un seul piolet. Il m’explique brièvement, goulotte de glace, mixte, rocher, arête de neige, descente par la voie classique du Mont Blanc du Tacul. Il me demande ce que j’en pense. Je n’en pense rien, mon cerveau ici ne fonctionne pas vraiment, mais je peux sentir… Je lui demande un instant, m’avance vers elle… oui, oui.
C’est là que nous allons, mon être tout entier est baigné d’une confiance et d’un appel… aucun doute. Je n’ai jamais emprunté de goulotte glacière, mes crampons ne sont pas précis, mais qu’importe, je sais que c’est là que nous devons aller. Florent vérifie à nouveau certaines données. Je sens qu’il subsiste chez lui des zones de doutes. Il calcule le timing, il nous faudra être en haut à 14h30 maximum me dit-il, pour ne pas manquer la dernière benne retour. Je le sens au fond de moi, le temps que nous nous offrirons pour cette ascension sera le temps juste. Le timing n’est pas un problème. Il est vrai qu’il est assez tard et que les conditions peuvent changer, que l’on ne connait pas vraiment les conditions dans la voie… mais cette confiance… si immense, je suis inébranlable. Sans être têtue. Je reste parfaitement à l’écoute de mon premier de cordée et de cet environnement précieux qui nous accueille. Nous nous avançons alors à l’abord de la voie, juste avant de l’entamer, je précise à Florent que je m’engage, dans les moments de tension et de peur, qu’il y aura peut-être, à ne pas les transférer vers lui. Il me connait, il n’est pas surpris. Lorsque les mots sont là, les ravaler m’est impossible, je dois dire les choses même si elles peuvent paraitre non nécessaires, sinon je me sens lourde et ressasse. Allégée de ces mots, nous commençons alors l’ascension, tranquillement. Nous bordons l’immense avalanche, elle m’impressionne. les premiers pas sont de neige, les marches sont bien tracées, aucune difficulté, une belle opportunité pour « rentrer » dans la course.
Mon corps s’adapte au manque d’oxygène et les pas se font tranquillement les uns après les autres. Florent pourrait être beaucoup plus rapide seul, mais je ne sens poindre aucune impatience, la cordée se consolide. Nous arrivons dans la zone de mixte, un mélange de glace et de roche, en commençant par de la glace. Florent me redonne les consignes rudimentaires d’utilisation des crampons et piolets dans ce contexte. Je teste le piolet et les crampons, l’équipement est parfait ! Nous avançons doucement, mais d’un pas très régulier, l’allure est donc correcte pour Florent qui valide le timing. Nous arrivons à la zone rocheuse où se trouve un pas d’escalade un peu technique à passer. Je regarde Florent faire, mais il est un peu trop loin pour que je puisse vraiment voir ses points d’appuis, je les devine grossièrement. Il est vraiment très agile sur ces zones, nous partageons vraiment ce goût de l’harmonie dans le passage, comment passer sans force, avec la douceur des appuis proposés par dame nature. N’ayant que très peu de force dans les bras, c’est pour moi un exercice incontournable. Mon tour approche, j’entre dans ce petit goulet rocheux, et prend contact avec la roche. Un frisson me parcourt l’échine. Du granit. C’est la pierre de mon enfance. Je l’aime tant, je sens un lien particulier, est-ce celui de la mémoire ? La neige en abondance nous permet de largement simplifier le passage, alors je décide de prendre le temps d’explorer la roche, de mes mains et de mes pieds, je prends bien appui sur elle, teste différentes positions du corps jusqu’à trouver celle où je force le moins, celle qui me donnera facilement l’élan. Je me délecte de sentir sa présence si forte sous mes mains… après cette courte exploration, j’ai trouvé la position idéale pour grimper, une pointe de crampon sur un fin débord rocheux pour le pied gauche, un support assez plat pour le pied droit, je me hisse avec des mains assez peu solides, mais Florent m’indique une super prise un peu derrière pour ma main droite, superbe ! Au contact de cette prise puissante que ma main épouse singulièrement, je me hisse avec joie vers la sortie.
J’aime passer sans une seule crispation du corps. Sortis de cette première étape, nous nous engageons dans la suite avec confiance. Le goulet de glace se présente alors, Florent a quelques difficultés à le passer. La glace est grise et très dure, il n’arrive pas même à y entrer la broche à glace. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que ce n’est pas nécessaire. Ça tient. C’est étrange à prononcer et j’hésite donc de longues minutes, mais son immobilité m’y pousse « Florent, je sens que ça tient, je ne sais pas pourquoi, mais tu n’as pas besoin de brocher, ça tient bien » Florent range alors sa broche, tente de créer des marches, mais ce n’est pas possible. Je le vois fermer les yeux, souffler doucement, puis l’entends murmurer « ok, aller on y va ? Allez aide-moi ma belle, aide-moi ». Un pas. Puis un second. Puis les suivants « merci ! merci ! » il est sorti de ce goulet. Mon sourire dépasse mon visage tant il est grand ! Un homme qui parle à la montagne est un homme qui sait de quoi il est fait. A mon tour, je m’engage vers la glace. Premiers pas. Je sais que ça va passer, ne me reste qu’à trouver où. Je prends sur la gauche. Zut, une longe à enlever sur la droite. Le passage me déstabilise un peu, et me sors de cette zone de confiance, peut-être était-elle trop aveuglante ? Mon pied droit glisse mais je le rattrape rapidement. Cela crispe mon corps et je commence à lutter. STOP. AVEC. Pas contre, AVEC. Dans mon être entier se répand la vibration de ces mots. Cette vibration d’harmonie, la sensation de faire corps avec les éléments revient instantanément. La longe alors enlevée, j’avance pas à pas sous les encouragements de Florent. Ce sourire ne me quitte pas, je suis concentrée, pleinement présente à chaque pas. Je me sens totalement portée. Comme soutenue, fermement et en douceur, j’avance en me sentant si légère… Cette légèreté et cette confiance inouïes me mènent à hauteur de mon compagnon de vie et d’aventure, qui écarquille les yeux et me félicite de cette avancée en souplesse ! Il est admiratif de mon aisance mais je tempère, je suis seconde de cordée, ce qui me facilite drôlement la tâche. Nous continuons notre ascension entre des zones de glaces, partiellement recouverte de neige, et des passages en roche.
Un hélicoptère du PGHM survole le massif et fait des allers-retours pendant une bonne dizaine de minutes, le son est assourdissant et résonne dans mes oreilles. Florent ne semble pas dérangé par le bruit et la présence de cet oiseau de fer, pourtant je le sens plein de doutes. Je ne comprends pas pourquoi. « Peut-être que la voie n’aboutit pas et qu’ils viennent chercher les alpinistes qui nous ont précédés » m’explique-t-il. D’où nous sommes, nous ne pouvons qu’avancer, advienne que pourra. Mais ce changement d’ambiance génère à nouveau une tension en moi. J’aborde un passage rocheux, perturbée par ce bruit et cette possibilité d’une voie sans issue. Je m’agace sur mon incapacité à manier l’équipement rapidement, je vois la corde faire deux ronds à mes pieds et mon cœur s’emballe, l’échine hérissée…. J’ai eu peur, très peur de poser le pied sur cette corde, peur qu’il s’y emmêle, peur qu’elle m’amène dans le vide… AVEC ! Ne pas lutter, avancer avec. Les mots résonnent à nouveau dans mon corps… l’apprentissage est vif et efficace, je reviens pleinement alerte dans la course. Nous traversons encore quelques pas enneigés, et un dernier rocher s’offre à nous. Florent sait le lien que j’ai avec les éléments et m’indique alors qu’après cela, nous ne partagerons plus notre chemin avec le granit. Je lui demande alors un instant. Délicatement je pose ma frêle main sur la roche. Pierrette, fille de caillou, la petite pierre, enfant du granit Breton, ancrée dans les montagnes. Elles m’enseignent tout. Mon être tremble de cette énergie qui me transcende, je me sens divinement en communion avec cet univers !
Florent et moi sommes à notre place ici, j’en suis infiniment convaincue et ne le remercierai jamais assez de m’offrir cette cordée qui me lie à lui et à ces hauts lieux alpins. Les larmes perlent de cet immense cadeau reçu, la joie inonde mon cœur et porte mes pas prochains. Nous sommes à nouveau sur la neige sans plus de difficultés techniques, c’est bien, c’était ce qu’il me fallait. Nous traversons légèrement en devers, et des traces partent vers la droite avant l’arête sommitale, Florent m’indique que cela serait plus court par là. Non ! Tout mon corps s’arqueboute, il m’est impossible d’emprunter cet itinéraire. Et pourtant, je le lorgne depuis une bonne dizaine de minutes en espérant pouvoir passer par là, car la fatigue s’invite doucement. Mais non, je n’irais pas par-là, je ne sais expliquer pourquoi, mais mon alarme intérieure est claire et je lui fais confiance. Nous continuons alors d’avaler le dénivelé, doucement mais toujours d’un pas régulier. Florent me demande de passer devant, c’est ok pour moi, je me sens toujours aussi bien ici.
Puis il me propose une pause déjeuner, mais je n’en ai pas particulièrement envie, je préfère manger régulièrement des petits morceaux de ma barre de céréale, cela me convient mieux pour soutenir l’effort. Je souhaite aussi terminer le dénivelé positif avant d’envisager le repas. Il est d’accord avec cela. Nous continuons alors l’avancée. Mon prévenant premier de cordée, me demande régulièrement comment je me sens, je ne suis jamais montée à une telle hauteur, mais je me sens parfaitement bien. Mon corps est bien ici, pas de mal des montagnes en vue, pour ma part, c’est la redescente en plaine que je dois apprendre à mieux préparer. La vue se dégage alors. Plus rien devant nos yeux. Le blanc de la neige laisse place à de somptueux sommets. Ils m’hypnotisent.
Florent me parle « premier 4000, sommet… » je le regarde éberluée… Ce n’est pas de trop les mots ici ? Surtout les chiffres ? Ils sont écrasant de matière alors que nous sommes dans l’éther, proche des rêves et des cieux… Il me replace sur terre en m’annonçant que nous avons 30 minutes de retard sur le timing. Ok. Cela ne m’inquiète pas, j’ai confiance dans cette descente qui titille, même avant l’amorce, mon enfant intérieur… je sens qu’elle va me plaire. Florent m’invite à engager le mouvement. C’est parti !
En étant parfaitement alerte et à l’écoute de tout ce qui m’entoure, j’ai la sensation d’être dans une sorte de conscience et sensibilité élargies qui me permettent de sentir ET d’être dans un mouvement rapide. C’est tout à fait nouveau pour moi de pouvoir être à la fois réceptive et, hors de la lenteur, qui me permet d’habitude une écoute plus accrue. Je jubile ! Je ris de cette descente joyeuse au pas de course, mais encore une fois je suis subtilement concentrée. Après coup, en repensant à ce moment, ma mémoire de la sensation est étrange, un mélange d’extrême rigueur et d’un total lâché prise. Ralentir ! Soudain la sensation change et je sens que je dois freiner l’allure, le mot résonne fort. Je ralentis donc et quelques mètres après, une jolie crevasse se présente à nous ! J’étudie le passage, pas si simple, je crie à Florent « sec », car je ne sais pas où va arriver mon pied gauche, la descente est en dévers… au-dessus du trou béant sur les entrailles du glacier, c’est sublime. Une bonne marche se présente, c’est parfait, cet appui me permet de rejoindre l’autre bord de la faille. Je m’en éloigne, et laisse place à Florent ; gardant la corde bien tendue, je lui explique ce que j’ai fait. Il est perplexe… et… saute ! Au lieu de désescalader, il a préféré sauter de l’autre côté, je n’avais même pas imaginé cela possible ! Quelle surprise de le voir faire ! Je ris de sa témérité, et de cette liberté d’être qu’il rayonne ! Puis c’est reparti pour la descente joyeuse, je sors des traces pour glisser dans la neige dont la texture est parfaite pour me porter. Ralentir ! J’ai un doute et ne ralentis pas immédiatement. Je sens la corde tendue, Florent a glissé. Ok, pardon, j’écoute. Je me remets dans cet espace d’attention accrue. Nous arrivons à un endroit où je sens la nécessité de reposer mes jambes. Je prends quelques secondes et en fait part à Florent. Mon corps se resserre, je sens une compression dans mon plexus. Tolérés. Nous sommes « tolérés » dans cet espace et non « accueillis » comme je le sens depuis le premier pas hors de la plateforme, la sensation est très désagréable et je dis à Florent « là, il ne faut pas trainer », ainsi nous avançons consciencieusement, mais très rapidement. Une trace de ski coupe le chemin, mon souffle revient, la zone est franchie, je continue pour que Florent puisse en sortir à son tour, je ne suis pas mécontente de ne plus ressentir cette oppression. La descente se termine alors tranquillement et de nouveau avec la présence de cette divine joie enfantine! J’ai très chaud sur le replat, et dit à Florent que je ne vais pas tarder à m’arrêter pour enlever une couche de vêtement. Florent me demande de compter jusqu’à 10. Hein quoi ? Je me demande si j’ai bien compris. 10 s’écrit-il ! « c’est ici que la course s’achève ». Je souris, mais au fond, cela me rend un peu mal à l’aise. Je ne sais pourtant pas pourquoi. Nous nous prenons dans les bras, c’est bon de savourer le chemin parcouru ensemble. Florent propose de manger un morceau, je ne suis pas très emballée mais il semble mort de faim, j’acquiesce alors. Je croque dans la quiche et comprends de suite que sa digestion userait de l’énergie dont j’ai besoin pour la dernière montée. Je la propose alors à Florent, dont l’organisme est à priori bien plus costaud que le mien. Erreur d’analyse. Florent croit que son organisme peut tout avaler, mais il aura toutes les peines du monde à finir cette dernière montée tant la digestion sera difficile. Pour ma part, il m’est aussi compliqué de me remettre dans la marche. Toutes les difficultés sont terminées, mais pourtant, avancer est bien plus laborieux qu’avant. Je comprends. Nous avons fait une pause non stratégique, le peu de nourriture ingérée nous prend de l’énergie avant de nous le redonner plus tard, trop tard. Et mon mental est puissant, d’avoir prononcé que la course était terminée, a enlevé la force de l’élan. Je dis alors à Florent « pour moi la course n’est pas terminée, je me remets dedans ». Ainsi la légèreté revient, l’énergie qui me soutient est à nouveau présente. Un pas, puis l’autre, rien d’autre. En boucle. Comme une prière. Rien d’autre. Florent est épuisé . Un homme qui nous suit, souffle comme une tornade, il me talonne et je sens sa respiration dans mon cou. Il catalyse mon énergie. Un pas, puis l’autre, rien d’autre. Je retourne dedans… Il souffle… Florent épuisé… Distance au sommet ? Un pas, puis l’autre, rien d’autre. Nous croisons des alpinistes qui descendent, Antoine et ses compères descendent sur le glacier du Géant pour bivouaquer, nous discutons un peu, puis reprenons. Un pas, puis l’autre, rien d’autre. Tout ce que j’apprends ici concerne l’ensemble de ma vie, je le sens. Profondément. Nous croisons encore deux autres alpinistes, l’un d’eux est en short « les pantalons sont pour les petites natures » c’est grivois je le sais… mais je suis lasse de ces mots répétés de génération en génération, mettant des codes et des barrières en place. Qu’entendez-vous par petite nature ? Y’a-t-il des êtres dont la composition physiologique fait d’eux des hommes grand ou petit ? Est-ce que le corps soumis au froid crée un grand homme ? Est-ce que la souffrance rend grand ? Petitesse d’esprit n’est pas incompatible avec corps résistant et vice versa. Qu’il en faut des générations pour que nous puissions déconstruire ces schémas enfermants ! Il nous reste quelques mètres avant l’entrée du tunnel. Un pas, puis l’autre, rien d’autre, me mène jusqu’au bout. La barrière ouverte, un instant solennel. Au revoir glacier, au revoir reine montagne, au revoir granit, au revoir vous qui peuplez ces hauts lieux et nous offrez votre soutien. Merci dame Contamine Grisole d’avoir soutenu nos pas. Merci. Florent et moi nous enlaçons. Nous retournons vers le banc de départ, les larmes coulent, quelle grâce de ressentir cette intensité qui nourrit les profondeurs de nos âmes. Je regarde Florent, je ne comprends pas le sens de ce mot, mais pourtant il résonne : bénis.
Une journée charnière. L’énergie du jour m’a permis d’amener à ma conscience de profondes libérations, la vie m’offre de percevoir l’espace dans lequel je suis libérée de mes attachements, de mes croyances, de mes peurs, recouvrant mon essence d’être, renonçant à la connaissance, au savoir accumulé pour accepter d’être nouvelle, d’être novice à ma vie.
Une journée lumineuse à souhait, couronnée par une sortie en ski de randonnée entre voisins, dans un doux vallon à deux pas du moulin. Nous montons en tête avec Fredo, rejoints un peu plus tard par Carine, Salomé, Etienne et leurs deux chiens, Filoute et Schnaps. L’ascension est menée avec entrain, Fredo et moi avons le cœur à rire, nous avançons donc lentement, ce qui nous permet d’atteindre le sommet ensemble. Si vous visualisez les népalais arrivant au K2, vous n’êtes pas si loin de la vérité !
Trêve de plaisanterie, et aparté pour ces népalais qui ont gravi les derniers mètres en ne formant qu’un : hats off pour ces hommes, « ensemble ». C’est qu’ils ont montré au monde. Le but est important, mais le collectif, le lien, est bien au-delà de l’objectif. Pour ce qui nous concerne, loin des 8000m, nous savourons le soleil et ce paysage enneigé qui nous tient dans ses mains. La neige irrégulière forme des croutes par endroit. Je me remémore la chute qui aura eu raison de mon genou dans des conditions similaires il y a quelques temps, je suis néanmoins pleinement confiante. Il s’est passé deux ans depuis cette chute. Les deux instants se ressemblent et pourtant… un monde, une renaissance les séparent. Nous profitons de ce généreux soleil qui nous ressource, prenons le temps d’être ensemble en haut, encore quelques instants. C’est une petite ascension, quelques centaines de mètre de dénivelé, mais elle nous met tous en joie, la descente en est emplie, je me sens bien sur cette neige pourtant traffolée. Intérieurement je savoure l’évolution, la bénédiction du temps qui passe et me fait grandir. Il y a deux ans, mon genou se brisait de ne savoir me montrer autrement, qu’il me fallait trouver ma place, parmi les autres, et en moi-même. Deux ans se sont écoulés, le genou n’a pas de message à me transmettre. Je suis si bien entourée de ces personnes de cœur, saines, généreuses… les mots sont parfois de trop, comme une peur de bousculer l’équilibre simple, surtout ne pas figer, laisser l’évolution prendre place dans ces relations qui font sens. Le chemin vers ma place intérieure s’affine aussi, pas à pas. La descente pleine d’éclats de rires, Salomé a détaché sa longue et épaisse chevelure blonde, que je vois du coin de l’œil, terminé en virgule ses virages nombreux et rapides ! Nous arrivons skis aux pieds aux voitures et reprenons promptement la route avec Fredo, car j’ai un rendez-vous peu de temps après. Ma conduite est quelques peu vive, et c’est en descendant de la voiture qu’il m’avoue sa surprise ! Je ris à gorge déployée, d’autant plus qu’il y avait de nombreux oiseaux… que je n’ai pu m’empêcher d’admirer tout en conduisant… ! Fredo a dû user le tapis côté passager ! Ma conduite est devenue un sujet à en rire récurant dans le hameau ! C’est un délice d’être entourée de ces êtres bienveillants.
Cette nuit, éveillée au creux des ombres, j’écris. L’appel des mots est trop puissant pour que le sommeil revienne. Se faisant, le feu se ranime dans le poêle à bois. J’ai nettoyé la vitre avant de dormir, permettant à sa lumière de jaillir, projetant ainsi ses dessins enjôleurs sur le plafond et les murs qui m’entourent. J’arrête d’écrire et me lève pour aller à la fenêtre, je fais ce geste tant de fois par nuit, j’ai besoin de m’approcher des étoiles, de voir la quiétude de la nuit faire son œuvre. Je vérifie toujours l’état des traces dans la neige, ainsi je note si les passages du renard sont à heures régulières, mais en vain. Il est incontrôlable et plus je veux le comprendre, ou saisir quelque chose à son propos, plus il fuit. Pourtant, je sens bien que ma présence lui est agréable, et même qu’il se joue un peu de moi. Parfois je me réveille en sursaut, mais je reste dans le lit, regarde le ciel, et devine une présence, je ne bouge surtout pas, quel serait mon plaisir de le voir, et de l’effrayer, le savoir à côté m’est in fine bien suffisant, c’est le lien que je cherche avec lui et non la possession. Cette nuit je reste de longues minutes à observer les étoiles, elles me font du bien. Je plonge en elles et me souviens alors… l’absolue, l’infinie, le rien, le tout, j’en suis bercée et rassurée, cette mémoire s’installe en moi et m’apaise. J’ai fait un pacte avec le moulin, pas de connexion internet la nuit, pour que nous puissions tous nous reposer, mais là, je n’arrive pas à me rendormir et les heures passent, je pense alors à aller me promener dans la forêt, mais je ne le sens pas. Je prends alors mon téléphone. Je navigue, je cherche… je ne sais quoi… le lien peut-être, des réponses certainement… je remplis le vide nocturne, car il ne m’est pas que nourricier. Mon mental est très actif, je viens de vivre une journée charnière, les libérations sont aussi sources d’un mouvement interne expansé, la nuit, toutes les cartes sont remises sur table. J’accepte le travail, mais après un certain temps, je sens que je dois me reposer, lire des articles me permet de focaliser sur un objet, mon mental termine ainsi sa course effrénée sur une photo… le calme revient, le sommeil l’accompagne.
Ce matin à l’aube, l’envie du mouvement s’éveille en moi, je range la maison. Soudainement je sens un immense poids sur mon plexus solaire. Cette sensation m’est particulièrement désagréable. Je tente de comprendre, pour me libérer de cette sensation au plus vite. Mais à ce stade, c’est impénétrable. Je prends le temps de poser l’intention de laisser couler, partir, mourir, ce qui n’a plus lieu d’être. L’intention me soulage un peu, mais faiblement. J’ai réalisé deux soins avec des éleveurs et leurs bêtes hier, je cherche de ce côté, car une des bêtes a sollicité le corps émotionnel. Mais la piste est vaine. Au réveil, mon corps voulait du mouvement, la clef est là. La journée n’est pas propice à une balade de santé, légère et ludique, mais bien à me soutenir dans l’évolution de mes vibrations, et je le sens poindre : à lâcher les attachements. Je commence doucement l’ascension, la neige est humide et lourde, qu’à cela ne tienne, je prends mon temps, pas à pas. J’atteins le premier col, le vent s’est intensifié là-haut, il m’aide à balayer les peurs. J’observe les nombreux pas formés dans la neige, la présence animal s’est visiblement intensifiée ces derniers jours, pour ma plus grande joie. Le temps se joue des nuances de gris, et les nuages haut filent à vitesse débridée, m’offrant le vent comme soutien de ce passage, de ce cap de vie. Je marche dans les pas d’un chevreuil, et laisse mon intuition mener mon avancée, tous mes sens hument ce vent, cette fraicheur, qui me saisit les oreilles. Je les sors de mon bonnet car je veux laisser libre tous mes sens, et l’ouïe me permet de « savoir » pleinement où je suis, de comprendre ce qui m’entoure. J’entends le vent, les oiseaux, la rivière qui coule et chante le long des stalactites. Je monte sur l’arête, en continuant à suivre les pas qui me sont offerts par le chevreuil. Je l’en remercie car la neige me recouvre jusqu’aux genoux, ce qu’il a déjà soulevé n’est plus à faire. Je navigue de palier en palier à sa façon. Sur ce versant, à priori pas de risque d’avalanche, mais marcher dans ses pas m’en conforte, il est passé juste avant moi. Je le sens doté d’un savoir que je ne possède pas, je lui fais confiance. Il me mène à un pin sylvestre que j’apprécie particulièrement.
Je me sens lourde, immensément lourde quand je me love contre lui, presque avachie tant la lourdeur m’emporte… je sens son soutien infaillible. Je viens souvent à lui, aujourd’hui il m’offre de me reposer contre son écorce. Silencieux, il me porte, silencieux, il m’aide à évacuer, silencieux, il accueille ce que je n’arrive pas, seule, à transcender en moi. Quelle force, quelle puissance d’abnégation. La neige décharge de ses branches, créant une pluie blanche autour de nous. Je me redresse, regarde son tronc si vivant, parcours ses veines de mes fines et puissantes mains. Merci. J’honore cet arbre majestueux, et le quitte en continuant de marcher dans les pas du chevreuil. Je sens que j’ai envie de m’éloigner du sentier battu. Le chevreuil a eu la même envie, ses pas vont exactement dans la direction qui appelle mon cœur. Je continue ainsi l’ascension sur la première crête et redescends vers un collu, où les traces plongent vers l’autre versant. Je regarde un temps autour de moi, le vent s’est intensifié, et me pousse dans la direction de la crête suivante, je trouve des traces de lièvre et reprends mon ascension. Le lièvre est assez dodu pour faire de belles traces, mais il reste tout de même bien plus en surface que le chevreuil. Peu importe, tant que le froid ne me saisit pas, je continue. Arrivant sur le dôme que j’avais en vue, le vent est puissant et soulève d’immenses volutes de neige, qui viennent me fouetter le visage. Puis cesse d’un seul coup. J’ouvre alors les yeux et vois ce magnifique pin, j’avance près de lui, le contourne et me retourne. Alors une immense vague de vent déferle à nouveau sur nous, il vient dans mon dos cette fois, je garde les yeux entre ouverts. Je vois à la lisière de la forêt, les grands pins qui crissent sous l’effort à résister. Et le pin isolé devant eux. Les branches dansent, mais il est infailliblement stable. Campée les pieds dans la neige, profondément ancrée, le vent me chahute mais je ne ploie pas sous son poids. Je ne résiste pas, simplement, je me sens imperturbable. Libérée de ce que ce vent balaye, heureuse de me sentir comme cet arbre, que la tempête amuserait presque, tant il a déployé une structure résistante. Immobiles l’un face à l’autre, et pourtant nous dansons dans ces rafales successives, je ris alors, de cet instant magique et léger, de l’enseignement du pin. Tel ce conifère noueux, je me suis construite dans la tempête. Nous ne sommes pas bien grands, mais résistants. Nos nombreux nœuds attestent des épreuves passées… certaines de nos blessures encore saupoudrées de résine guérisseuse… travail en cours. Je me sens ballotée par le vent, j’ai toujours mal au plexus solaire. Soudain je sens cette pression s’évaporer en un éclair. Je regarde mon téléphone : je viens de recevoir un message. Que le processus pour me libérer des attachements est difficile, il est à la hauteur de ce que j’ai construit comme schéma de survie autour de mes peurs. Merci pour ce message, cela me permet d’avancer encore un peu avec cet attachement, qui jour après jour, se transforme, se libère. Le lien est ce qui unit nos êtres, de nos essences profondes à nos densités humaines, sans qu’aucun contrôle, ni jeu de pouvoir viennent l’alourdir, l’entraver. C’est en cela que j’aspire. Je regarde autour de moi, et ne sachant pas précisément où je me situe, il serait préférable que je revienne simplement sur mes pas. Je jette un regard de non experte sur Iphigénie et vois un autre passage possible. En contre bas, des traces dans la neige. La pente est bien au-delà des 30 degrés, mais je vais rester à la lisière des arbres. J’ai confiance dans cette voie, et plonge dedans. La neige me recouvre les jambes, c’est frais et agréable, sur ce versant, le vent s’est apaisé. Je me sens protégée par les arbres, et déambule doucement à la suite des traces, des milliers de passages, aucun humain n’est venu ici depuis la neige, seuls de fins membres ont foulé le sol blanc. Chevreuil, lièvre, renard, et d’autres que je n’identifie pas. Je sens, je sais, que je suis observée. Je ne veux pas non plus trop affecter leur territoire, je reprends donc ma descente, je continue à la suite des traces, aucune raison qu’ils se trompent de chemin. Je m’appuie sur eux, car cette épaisse couche de neige nivelle tout, je ne perçois pas les pentes correctement, ni les probables trous ou autres embuches, j’ai confiance dans les habitants des lieux. Je passe sous certains arbres et rencontre les lieux où les chevreuils dorment. Ils ne choisissent jamais ces arbres par hasard. Il m’arrive de m’assoupir sous ces frondaisons fort accueillantes, le sommeil en ces lieux est proche du divin. Le monde animal a tant à m’apprendre, je ne peux que le constater chaque jour. Je travaille avec les éleveurs et leurs troupeaux, personne ne travaille avec les animaux par hasard, l’être sensible entend leur enseignement subtile, ils nous disent tout de nous. Après cet arbre, je découvre un lieu connu ! Ces raidillons qui zigzaguent, ces arbres… et oui, je me suis perdue en ces lieux à l’automne ! La neige a bien modifié ma perception globale de l’endroit. A l’automne, il me fallait être très précise sur mes appuis, la boue et les pierres ne me facilitaient pas la tâche, mais là, aucune analyse très précise à faire, la pente étant plus douce, juste suivre les raidillons et laisser le pied s’enfoncer dans cette douceur immaculée. Je décide de ne pas prendre le sentier d’été mais de me laisser porter par mon envie d’aller en direction du nord. A l’orée d’une clairière, je m’arrête et ausculte le versant en face de moi, je sais qu’ils sont là à m’observer. Sortie des arbres, je sens à nouveau le vent qui me pousse doucement, il est bien moins puissant qu’au sommet. Je m’allonge dans la neige, j’observe le ciel. Les feuilles d’automne, que la neige avait recouvertes, profitent de ce redoux pour se détacher des arbres et virevolter au vent. Les nuages haut dans le ciel continuent leur balais, les énergies là-haut sont puissantes ! M’allongeant ainsi au creux de le neige, je laisse le souffle du vent prendre place en moi, je respire. De cette respiration fluide, simple. Les exercices de respiration sont une torture pour moi. La forcer pour la rendre thérapeutique m’est tout simplement impossible, si je suffoque, si je bloque, si je respire peu, cela m’indique où j’en suis, ce que je suis en train de vivre. Contrôler ma respiration pour apaiser mon corps n’a jamais fonctionné, je ne peux pas avoir une approche mécanique de ma respiration, elle est un indicateur que je ne veux pas masquer. Mon chemin est autre. Si ma respiration n’est pas fluide et simple, alors je vais m’explorer, m’observer, j’ai besoin de m’abandonner, de naviguer en eaux profondes afin de resurgir à la vie, ma manœuvre alchimique… Je sens à cet instant mon plexus solaire qui valse… je le laisse s’exprimer, j’accepte que cela puisse être douloureux. Je reste lovée dans cette neige qui me contient et observe les cimes tanguer, le vent joue avec elles. C’est doux. Je me sens enveloppée de cette douceur, mon cœur s’apaise. Je sens un nouvel espace en moi. Le froid s’empare peu à peu de mon corps trop immobile, je me relève. Je termine ma descente et rentre au moulin, un peu différente que lorsque je l’ai quitté. Chaque petite mort ouvre sur une terre à ensemencer, les graines sont plantées, le détachement est en cours.
Encore une nuit puis au petit matin sonne une évidence, comment marcher vers ce détachement sans reconnaitre les espaces où il n’est pas ? Il me faut faire ce pas précieux vers moi-même, et le reconnaitre profondément : je suis jalouse. En couple, je suis jalouse. Je l’ai entendu de nombreuses fois, Pierrette, tu es jalouse. Moi ? Non, évidemment que non, je suis libre, et je laisse l’autre libre. Mais ô combien de fois ai-je renié cette réalité. Mon amie Myrtille m’a posé cette question : « es-tu jalouse ? » J’ai, à la vitesse de celle qui n’est pas prête à aborder le sujet, répondu négativement : « non je ne suis pas jalouse ». Myrtille me confirma ma pensée : « s’il y a de la jalousie, il y a un problème ». Mais le problème semble immense et la barrière infranchissable, alors je me voile cette partie de moi. Je la refuse et la réfute. Ce matin cheminant vers les hauteurs, je me l’affirme haut et fort. Oui, je suis jalouse ! Et les larmes de reconnaissance coulent… cela me libère, me libère de ce mensonge à moi-même. Oui la blessure que cela dit est immense… la montagne seule ne peut plus la cacher, je perçois les grandes lignes : peur de l’abandon, peur de la trahison, peur de ne pas être aimée, peur de… peur de… stop, j’arrête de chercher la cause. Là, dans cette fine couche de poudreuse qui s’est étendue cette nuit pour revêtir la nature d’un subtile et scintillant manteau blanc, je m’ouvre à cette réalité : je suis jalouse. Lorsque j’arrive au premier collu, je vois deux chasseurs en affuts, je marche vers eux, à pas de louve.
Je cache mon désespoir de les voir là en ce jour. Je tente de vous respecter tant que je le peux, je fais de mon mieux, vous avez au moins cette dignité de savoir ce qu’est la mort, vous la donner. Mon itinéraire était pile dans leur ligne de mire, je le modifie pour échanger quelques mots avec eux. Messieurs, je viens de gâcher votre chasse, désolée… et à la fois, je ne peux cacher qu’une partie de moi jubile, ce ne sera pas cette fois-ci, et cette femelle et son petit ainsi que le jeune mâle solitaire… je veux malgré tout les protéger, ce sont mes petits voisins. Les chasseurs sont toutefois raisonnables, ils les ont vus, mais ne les ont pas tirés, « ce n’est pas le but » me précisent-ils. Je leur indique mon itinéraire vers l’arbre que je suis venue voir, et leur glisse discrètement que je randonne ici au moins deux fois par semaine… le terrain est visité, même avec toute cette neige ! L’homme qui s’adresse à moi, de son regard bleu perçant, de son sourire franc et de sa barbe courte proprement rasée me rappelle un autre chasseur, de quelques années son ainé, un être dont la simplicité et la bonhommie me manque. Il y a des liens que l’on ne s’autorise plus, mais dont le manque se fait sentir. Ces chasseurs m’offrent de voir qu’il y a tant de prismes qui ouvrent sur tant de regards différents… comment blâmer, comment juger, une masse, un groupe, alors qu’il n’est constitué que d’individus tout à fait uniques. Je marche vers mon arbre, ce « mon » est un signe d’affection bien plus que de possession… comment posséder un arbre, tel chacun d’entre nous, il est divinement libre.
Je vais vers lui, me dépose contre lui, les deux chasseurs m’observent à la jumelle, je m’en accommode, ainsi ils ne guettent plus le gibier. Je sens que mon comportement les intrigue, et j’observe que cela ne génère rien en moi, je trouve petit à petit ma place. Il est vrai que suis peut-être différente de ce que voudrait la norme, tant est qu’elle existe. Je m’assume telle que je suis, chaque jour un peu plus. In fine, je crois que la norme n’existe pas, et que chacun d’entre nous a plein potentiel de se limiter ou de s’expanser, et que l’Autre et la société ne sont que des excuses pour temporiser notre acceptation de nous-même. J’observe petit à petit chaque espace de moi-même, afin d’apprendre à m’accepter pleinement. Aujourd’hui je me reconnais jalouse. Pour arriver jusqu’à ce jour où je me reconnais avec ce sentiment, je me suis offert de vivre exactement les relations dont j’avais besoin, j’ai choisi l’Autre empli de doutes, vivant avec des fantômes de relations… Je me suis offert de mettre des visages sur cette jalousie, elle était ciblée et facile à justifier. Facile de rallier les autres à ma cause, facile de trouver des soutiens. Je n’étais pas jalouse, c’était l’Autre qui était bien fautif, j’en étais la victime. Les stratagèmes mis en place pour ne pas aller voir une blessure me fascinent, ils sont tellement précieux, comment aurais-je pu continuer à vivre voyant toutes mes plaies béantes d’un seul coup ? Ce n’est que maintenant que je suis capable d’aller vers ce sentiment en moi. Car il s’agit d’un sentiment, j’écris « je suis jalouse » pour ne pas user de la subtilité du langage et dire « je ressens de la jalousie ». Cette formulation serait plus juste dans l’absolu, mais je n’ai pas besoin que cela soit juste, j’ai besoin d’être honnête avec moi-même. Ainsi : je suis jalouse. Je ne cherche pas à justifier, analyser, alchimiser, pas maintenant. Je me berce dans cette jalousie, farouchement j’aime, farouchement je suis jalouse, farouchement je mets, autour de l’homme que j’aime, les limites s’il ne les met pas. C’est peut-être un espace qui évoluera, mais pour l’instant , il est, je le reconnais et l’honore.
Quelques jours après, une fois n’est pas coutume, c’est au bord de la mer que j’ai cheminé vers moi-même. Deux jours à Marseille m’ont rechargée de soleil, la mer m’a baignée de son aura du renouveau, mes amis m’ont reliée à la joie immense du lien, du rire, et d’être ensemble, simplement. Mon amie Val et moi-même sommes à des virages 180 degrés de nos vies. Qui s’agite à l’intérieur de nous ? Est-ce le roulis de la peur de se lancer corps et âme dans l’ inconnu? Ou est-ce l’intuition qui nous propose un autre chemin ? Le déterminer passe peut-être par la prise en compte de la peur, en l’accueillant comme une source d’apprentissage de soi, immense. Nous avons randonné ce matin, arrivant sur le lieu : calanque interdite d’accès. J’ai un instant de recul : c’est interdit. Je ne sais ce qui s’éveille précisément en moi, l’Interdit va d’un battement d’aile cueillir mon enfant intérieur. J’ai toujours été fascinée par les êtres capables de se faire enguirlander… sans aucun émoi. L’interdit, quand je ne le brave pas, ce n’est non pas par éthique, ou par respect de certaines valeurs, mais uniquement parce que mon égo se révulse à l’idée des réprimandes. Mais braver un interdit, n’est-ce pas parfois prendre un risque… de vivre ? Nous avons donc franchi, panneaux, filets, rochers, cailloux, barrant notre chemin, nous faufilant entre les arbres pour, plus aisément, accéder à ce qui sera notre périple de contrebandières modernes, deux rebelles aux cœurs scintillant (et en slip encore !).
Après quelques échanges, ni soumises, ni rebelles, nous convenons que nous sommes simplement sur notre chemin, et que la loi de l’Autre, n’est pas la nôtre lorsqu’elle ne résonne pas juste aux oreilles et aux cœurs. Nous cheminons dans cette garrigue, les oiseaux virevoltent autour de nous, nous sommes bien accueillis par les habitants des lieux. En arrivant au fort, point culminant de notre balade, je suis subtilement attirée par le lieu et me rends aux portes, fermées à grand renfort d’une lourde chaine cadenassée. Je prends tout de même le temps de ressentir le lieu, les traumatismes de l’histoire le hantent. Nous croisons un garde littoral, et je m’avance vers lui pour échanger sur l’histoire et le présent du lieu. Il s’arcboute sur la dégradation des lieux par « une population », graffes, fêtes… le fort est donc fermé, clôturé, rendu inaccessible. Je comprends la volonté de préserver un lieu historique, mais l’être humain me fascine par sa capacité à vouloir figer l’histoire. Oui ces graffes racontent aussi une histoire, l’histoire de l’homme moderne, nous faisons partie d’un continuum. A défaut de laisser le lieu vivre et évoluer, il est fermé, cadenassé, interdit de vie, lui qui aurait tant besoin que les affres du passé laissent place au vivant. Nous reprenons le chemin de la descente, nous dirigeant vers la calanque de l’Erevine. Le chemin que nous empruntons ne l’est que rarement, les buissons nous accueillent fort chaleureusement et nous enserrent de leurs branches. Leurs vives caresses me plongent dans un état de calme souriant, Val se faufile devant moi, je la suis. Nous sortons de ce raidillon pour rejoindre le grand chemin, parlons des peurs de chacun, de ce qui nous est « imposé », de ces changements de mode de vie. Je lis et entends beaucoup « en ces temps incertains »… N’est-ce pas là la véritable vie, naviguer dans l’incertain ? Ne nous sommes-nous pas leurrés de la maitrise ? Maitrise de nos vies, maitrise de l’avenir, maitrise de nos relations… nous en parlions la veille avec Jean-Cri le mari de Val, oui, il est risqué de vivre. La maitrise du risque (et ce fut mon métier !) n’est-elle pas une chimère après laquelle nous courons ? Une part de ce que nous vivons est peut-être dans l’ordre de ce qui est maitrisable, statistiquement parlant. Mettre un casque en moto, permet de réduire le risque d’un accident fatal, mais avez-vous déjà roulé sans casque ? Avez-vous déjà senti l’air d’un printemps s’amonceler dans vos sens à la vitesse tranquille d’une moto conduite sans casque ? Quelle liberté inouïe j’ai ressenti en réalisant que certains risques valent bien d’être vécus. Oui je prends le risque, celui de vivre, pleinement. J’ai conscience de mes peurs, navigue avec elles, je ne lutte plus contre, plus j’en prends connaissance et les apprivoise, plus je tends à aimer et chérir ma liberté profonde. Être soumise ou rebelle de ses peurs, je l’ai exploré de fond en comble, j’aspire à explorer de la même manière ce qui me rends plus libre et éveillée, chaque seconde, chaque jour. Nous arrivons devant un long tunnel de roche, Val s’élance puis se stoppe net : « ah non c’est vrai, on ne peut pas passer par le tunnel ! » Val sait mieux que quiconque mon ancienne phobie de la roche encaissée, mais c’est aussi cela que j’explore de moi-même, ces zones de blocage qui s’ouvrent petit à petit. Je l’informe de cette évolution et nous avançons donc dans le tunnel, nous remémorant le passage du loup, lors du trail de Laudun, où elle avait dû guider mes pas et ma respiration, mes yeux fermés, angoissés de la proximité de cette roche. En cet instant, j’avance… effleurant cette roche de la main, et ces souvenirs me paraissent être d’une autre vie. Arrivée à la calanque, nous croisons des ouvriers probablement en train de sécuriser des chutes de pierres. Ils s’installent tous en haut du pont, et nous observent. Val et moi nous réjouissions de la baignade à venir, mais leurs présences nous en sape l’envie. Nous prenons néanmoins le temps de ce calme, personne d’autre que nous deux dans la calanque, la mer et ces différentes teintes bleutées, son doux roulis, le vent très léger et le soleil… et pourtant je tourne comme un lion en cage, je veux me baigner… mais je refuse de le faire en me donnant en spectacle. Je suis d’abord très en colère contre eux, et devant leur insistance à nous regarder, me demande si notre présence ne les empêche simplement pas de travailler, pour des raisons de sécurité. Une jeune femme arrive, nous échangeons sur le sujet, elle est aussi gênée par l’instante manière d’observer de ces messieurs, je lui dis ma gêne de me baigner sans haut (nous n’avions pas prévu de maillots !) elle me rétorque : « ah non c’est terminé ça, c’est d’un autre temps, personne ne doit nous empêcher de nous sentir libre de nous baigner topless ! ». Je la comprends, mais je ressens aussi ce besoin de me protéger, de protéger ma poitrine, elle est le dernier rempart du cœur, je ne veux pas laisser quiconque atteindre cet espace précieux en moi. A ce moment, un couple arrive aussi sur la plage, et les observateurs disparaissent d’un coup ! Je remercie cet homme de sa présence, libérant ainsi toute crainte de me baigner sans être scrutée. Sans plus attendre, Val et moi plongeons dans la mer !
Le froid nous saisit et manque de peu de nous pétrifier ! Nous nous regardons et vite, ressortons de l’eau ! Cela nous a coupé le souffle, il revient petit à petit, nous marchons sur les cailloux, qui nous ramènent sans tarder au corps ! Nous rions de notre témérité et toute légère inconscience ! Après un petit temps de séchage au soleil (ni maillot, ni serviette) nous remettons nos vêtements et reprenons la randonnée sur ce sentier côtier. Les arbres de bord de mer me fascinent, tels les arbres montagnards poussant au gré du vent et de la neige, ici c’est l’embrun qui les talonne. Nous rentrons de cette escapade de contrebandière ensoleillée, le cœur bien scintillant.
Je rentre au moulin après ce temps avec mes amis à Marseille, ce soir c’est la pleine lune, en attendant cet instant que j’apprécie tant, je vais voir Karine et Etienne. Nous allons tous ensemble relever le piège à image de Mose. Schnaps leur chien est des nôtre, Filoute se repose. Son arthrose le fait souffrir, mais il ne veut pas d’aide, c’est un bon vieux pépère ronchon. J’aime tant partager ces instants avec mes voisins, ils ont clairement des enfants intérieurs très rieurs et très présents, le mien jubile à leurs côtés ! Ils me rappellent instantanément le bon souvenir de la joie simple, du jeu et de la légèreté. Nous nous amusons à tester le déclencheur du piège, à qui mieux mieux fera le chevreuil, le renard, et même les gazelles ! Nous allons ensuite nourrir les chèvres avec Karine. Ce temps passé à la chèvrerie est mon petit moment précieux, je le chéris particulièrement. Après les avoir nourries, nous passons un temps assises avec les chèvres et le bouc, de bonnes gratouilles offertes, et de nombreux câlins reçus en retour, elles sont d’une immense générosité et d’une présence très fine. J’apprends tant à leur côté. Le soir arrive, et je sonde mon envie… pas faim, pas envie d’écrire, pas envie de flâner dedans… Je regarde dehors, la lune passe juste un instant entre deux nuages ! Je n’avais pas du tout envisagé de sortir, mais la lune m’appelle et j’ai bien trop d’énergie pour rester dans le moulin. Je commence à marcher dans la neige, le ciel danse avec les nuages, la lune et moi jouons à cache-cache. J’avance cachée derrière les arbres, elle est là, auréolée, puis à son tour se pare d’un nuage… J’approche d’un endroit que j’observe depuis quelques temps, je pense que le terrier du renard n’est pas loin. Il fait nuit, malgré la neige et la lune qui éclairent par intermittence, la clarté n’est pas de mise, mes autres sens prennent le relais, c’est exquis ! Mon odorat et mon ouïe sont particulièrement à l’aise la nuit. Approchant de cette zone où les traces de pas de renard sont multiples, je sens. Une forte odeur d’urine s’invite à mon nez, elle est tout à fait fraiche, je sais que le renard n’est pas loin, il a uriné ici il y a peu de temps, j’hume, bouge doucement pour regarder aux alentours, respire sa présence et continue mon chemin. Je le sais ici, il me sait là, ne forçons pas la rencontre. Les traces de pas sont nombreuses et bien dessinées, j’observe une trace que je ne reconnais pas, bien plus grosse, des sabots, à priori sanglier ou cerf, la neige profonde ne me permets pas d’identifier clairement la largeur, ni la forme du talon. Je lève les yeux à la lune, un instant nous ne faisons qu’une, je ferme les yeux et savoure l’énergie, le fluide qui parcourt mon corps. Lorsque je les réouvre, devant moi, un chemin, une piste, que je n’ai jamais empruntée. Elle est immense, et je ne l’ai jamais vue. C’est surprenant, après avoir arpentée toute cette montagne, par des passages parfois vraiment abruptes, glissant, enfourchant des arbres, raclant des pierres de mes ongles, glissant, me faufilant entre les églantiers… et là, devant moi, se présente ce chemin, large, accueillant, simple. Je commence à le fouler, j’ai le cœur léger, je n’avais jamais vu le chemin le plus simple, le plus évident ! Quelle leçon ! Quel symbole ! J’avance dans la pénombre, mais le cœur est clair, la vision parfaite, je vois ce que j’ai besoin de voir, enfin. Je suis lucide, sur ce chemin, sur ma vie. Je sais là où j’en suis, je ne sais pas du tout où je vais. Mais c’est avec une grande sérénité que j’emprunte ce chemin vers l’inconnu. Dans cette nuit clairsemée du clair de lune, j’emprunte le sentier que je n’avais jamais vu, et qui pourtant résonne l’évidence. La pénombre pourrait éveiller mes peurs, mais je suis tranquille. C’est le bon chemin. Je traverse la forêt, les ombres me sont familières, malgré n’avoir jamais foulé ce sol, les sons me chantent une confiance en moi qui jaillit de mes profondeurs. Une chouette hulule au loin. Elles ne sont pas légion ici, j’apprécie, j’écoute, me laisse bercée de ce doux chant. La bande blanche sur laquelle je marche s’élève peu à peu, un « couloir » se dessine devant moi. Seul un arbre se présente à son sommet. J’observe ce chemin pavé qui s’offre à moi. Soudain une forme saute à ma droite, mon échine se dresse une fraction de seconde et je réalise aussi instantanément qu’un chevreuil me fait face ! C’est une merveille, c’est le jeune mâle solitaire qui gravite par ici. Il est sublime, il est devant moi, sur cette bande de neige blanche, la lune dans son alignement. L’image, l’instant est totalement magique. Je ne bouge ni ne respire, le temps est suspendu. Mais je sais que le répit sera court, je l’ai très probablement réveillé. Quelques secondes plus tard, il s’élance dans de magnifiques bonds et aboie, il gravit la pente blanchie de neige, s’enfonçant vers la lune avant de basculer vers le versant nord. L’alerte est donnée, une intruse vient de rentrer dans le territoire. Avec ces yeux de chevreuil, comment distinguer au sein de notre espèce, les prédateurs des gardiens ? Je sens une énergie de peur me saisir, elle ne m’appartient pas, je prends le temps d’apaiser cette énergie. Il est parti se réfugier, les aboiements ont cessé. Un instant, j’hésite à faire demi-tour, mais je sais qu’ils sont tous à présent sur l’autre versant, je ne devrais donc plus déranger personne, et cet arbre en haut de la piste de Lune, m’appelle. Je continue alors ma lente ascension, chaque pas m’enfonce dans des dizaines de centimètres de neige, mais me cale bien, ainsi je ne glisse pas. La pente est telle que je dois parfois enfoncer mes mains dans cette neige, afin de me stabiliser. J’arrive enfin au sommet, m’approche de l’arbre, m’allonge au sol pour le photographier, et y reste.
C’est doux, je relâche les tensions, les attachements, je relâche la peur d’abandonner le connu pour faire ce saut dans le nouveau. Ce sentiment de jalousie évolue, est-ce le détachement envers l’être aimé, ou suis-je en train d’intégrer quelque chose d’ autre? Ma reconnaissance de ce sentiment m’ouvre à une partie de moi-même : c’est mon besoin de sécurité. Je l’apprivoise doucement depuis quelques temps. J’ai cherché tout ce qui peut me sécuriser à l’extérieur : l’homme aimant, la famille, les amis, le logis, l’argent. Et in fine, toutes les expériences m’ont ramenée à l’intérieur. C’est de mon propre abandon dont j’ai peur, de ma propre trahison. Ainsi, c’est de moi-même, que j’attends cette protection. Là, le ventre contre la neige, je laisse couler. Je suis bientôt au sommet de ce versant, je suis incapable de faire demi-tour, ma curiosité me mène à l’orée du bois qui cercle le sommet. C’est doux. Ce sommet est un dôme, je ne perçois pas bien les distances ni le dénivelé avec cette faible lueur de lune, je sens que la pente est à plus de 30 degrés et je suis heureuse d’être enfin en haut, ici je me sens parfaitement en sécurité. C’est un exercice que de me l’offrir. J’entreprends de descendre, et me laisse totalement portée par mon envie de dévaler les pentes en courant, je retrouve ma joie d’enfant ! Je tourbillonne dans la neige et me laisse choir en riant, la tête qui tourne à en faire briller les étoiles. Je me nourris de cette joie profonde, je sais que bientôt sera la fin d’un cycle, tous ces instants m’y préparent.
Dès que je m’installe dans un espace où il m’est confortable de naviguer, avec une forme de contrôle des évènements, la vie me ramène à une épreuve supplémentaire : enlever encore une épaisseur de la couverture, encore descendre d’un étage vers le profond de l’âme. Je savais cette étape primordiale, la rencontre avec l’Autre, l’être aimé, une dernière fois. Ultime mélange des âmes, pour m’amener une fois de plus à sentir, sentir ce qui n’est plus juste, ce qui sonne faux. J’accueille avec tout mon être ce dernier échange, je m’observe attentivement, je joue une dernière fois cette partition automatique, je me perds totalement dans son champ lexical de vie, je me plonge une dernière fois dans la non définition de mes limites, je ne sais plus qui je suis, je perds mon essence, une dernière fois je perds les contours de mon être, une dernière fois j’admire, une dernière fois j’aime à perdre mon être, une dernière fois je serre dans mes bras l’être à qui j’ai offert sans limite, perdant ainsi les miennes, mon âme et mon cœur… ce dernier saut dans l’abandon éperdu de mon être à l’Autre. Je me l’autorise sans contrôle, sans aucune retenue, afin de me comprendre, afin d’observer finement mes schémas, afin de voir les failles, les torsions, les appuis bancals, la soif de complétude, la quête vaine d’unité avec l’Autre… Je me fais ce divin cadeau, afin de faire un pas de plus vers moi-même, encore un. La séparation que je suis en train de vivre est divine. C’est une séparation avec les schémas que j’ai joué et rejoué, jusqu’à ce que l’observation, fasse place à l’alchimie, le cœur aimant et reconnaissant, je leur dis au revoir, une épaisseur en moins. L’instant est difficile mais ô combien annonceur d’un joyau que je sens poindre, je l’accueille avec la grâce et l’Amour qui l’accompagne, laissant libre place à la novice.
Lorsqu’Anne-Marie m’a proposé de passer quelques jours, ou l’hiver, dans son moulin, je ne me suis pas décidée d’une fulgurance. Allais-je être capable de rester seule dans une maison isolée? Je sentais une forme d’inconfort à cette idée, consciente tout de même du passage important que cela constituait pour moi. Il m’a fallu quelques jours et quelques centaines de mètres de dénivelé avant de pouvoir lui répondre. J’ai marché autour des thèmes de l’errance et de la vie, de la mort, pour toucher du doigt leur essence. La première fois que j’ai entendu parler de cet endroit, j’ai senti en moi une étincelle s’éveiller, sans saisir comment un lieu que je ne connaissais pas pouvait me faire ressentir cela. D’autant plus qu’en ce temps-là, je ne connaissais pas même Anne-Marie. Lorsque nous nous sommes enfin rencontrées, mama m’est apparue dans toute sa splendeur de femme généreuse, conteuse de son pays, avec son accent chantant comme nulle autre pareil… j’avais en permanence envie de me lover dans ses doux bras ! Un samedi midi, mama m’accueille en son au fameux moulin. Chemin faisant, la route se rétrécit dans les lacets montant vers le hameau. J’entre dans cette fine vallée le cœur curieux. Le hameau se matérialise enfin après quelques kilomètres et débute par l’accueillante chèvrerie. Je suis alors transportée en une fraction de seconde dans un monde à part, une bulle de temps et d’espace. De part et d’autre de la route sont installés quelques voisins qui prennent le temps de la discussion, ils nous saluent chaleureusement. Les maisons anciennes et robustes bordent cette route sinueuse. J’observe, en roulant, les montagnes, d’abord montagnettes aux abords, ouvrant en second plan sur de beaux sommets ronds et minéraux… quelle douceur en ce lieu, et à la fois quelle énergie ! La route prend fin pour laisser place à un chemin herbeux pour quelques mètres, qui me mènent jusqu’au bord de la rivière. C’est ici que la route s’arrête, je gare ma voiture et lorsque j’en sors, mon regard perce les environs pour capter l’essence du lieu. Tous mes sens sont alertes et mes capteurs, réceptifs des moindres signaux. Je porte mon attention vers les hauteurs, vers l’horizon que ce lieu m’offre. Je me sens à la fois portée par la montagne dans l’antre de son vallon, mais aussi quelque peu enfermée par le manque de lointain où le regard peut se perdre. Je concède néanmoins que ce manque est parfois nécessaire, je sais, je sens, que je vais en avoir besoin, même si présentement je ne me sens pas prête. Je baisse le regard et tombe alors nez à nez avec une belle bourrache, qui me rappelle à sa quintessence, la précieuse nous aide à dépasser le découragement face aux épreuves de la vie… le ton est donné. Je rencontre ce lieu où le végétal s’anime et détient une place honorable, arbres et fleurs jalonnent le chemin et descendent jusqu’au pont. Tout de bois vêtu, il permet le franchissement de cette rivière dont la puissance alimenta le moulin en son temps où les meules tournaient. En arrivant devant ce dernier, je lève les yeux, je le vois, je le sens. Bonjour gardien des lieux, c’est donc toi dont m’a parlé Anne-Marie, majestueux hêtre ! Fayard comme t’appelle mama… tu t’ériges droit vers les cieux, avec ce nœud à hauteur d’homme, et laisse courir ta frondaison à l’horizon prenant ainsi généreusement dans tes bras protecteurs l’ensemble du lieu…
En rentrant dans le moulin pour la première fois, je n’ai pas pris le temps de regarder l’extérieur autant qu’à l’accoutumée, comme une urgence à entrer, quelque chose m’attirait à l’intérieur. L’accès se faisant par la cuisine, c’est donc par cette pièce que j’accède en ton antre. J’en suis quelque peu perturbée, car je ne me sens pas à mon aise. Ecoutant mon instinct, j’entreprends néanmoins d’accéder aux autres pièces du moulin. En pénétrant dans la pièce principale, je sens un étrange sentiment m’envahir… mon vieil ami… je retrouve une vieille connaissance. Chaque recoin m’est familier, hors du temps, hors de l’espace du conscient, les liens sont déjà là, mon être entier le perçoit. Lorsque quelques semaines plus tard, un peu avant que le monde n’entre dans sa deuxième phase d’introspection, mama me proposa d’y passer un temps, je fis défiler les arguments du contre : l’hiver serait trop froid, absence de soleil pendant plusieurs mois, trop loin de mes amis… et pourtant… Je sentais cet appel fort ! Je décidai alors d’y passer quelques jours et d’aviser ensuite. Mama m’a offert ce précieux cadeau du choix, en plus de ce cocon douillet. Juste avant que je n’y arrive, elle m’a chuchoté de sa voix douce « tu vas voir, il se passe de belles choses au moulin ».
Lorsque j’y suis arrivée, la nuit était tombée depuis quelques heures, le petit moulin, de l’autre côté de la rivière m’attendait paisiblement. Le froid m’aidant à rentrer rapidement, j’ai d’abord enlevé toutes mes affaires de la voiture, et suivant les conseils de mama, allumé les chauffages en premier lieu. J’ai ensuite ouvert tous les volets, comme pour réveiller le moulin de la torpeur. Je suis restée active le plus longtemps possible, repoussant l’instant charnière. Je le savais en chemin, mais le repoussait d’autant plus. Il vint inexorablement. Il vint, l’instant où l’agitation n’a plus lieu d’être, où remplir le vide ne peut plus faire sens. Seule avec moi-même dans ce nouvel environnement, pas d’ami, pas de famille, pas de téléphone, pas de réseau, pas internet… Seule. J’ai senti les larmes parcourir mon être pour s’achever dans mon regard… une à une les larmes ont coulé, mon ventre s’est serré. J’ai regardé autour de moi, aucun repère, aucun point d’ancrage facile. J’ai erré entre les larmes encore et encore… un cri de panique, un vide en moi, profond, étourdissant… l’abysse intérieure, vite surtout ne pas la laisser s’installer… Je pleure, mais je ne lâche pas tout, je me suis construite sur ce schéma de lutte, je lutte alors pour ne pas sombrer, je me bats. Mais là l’étincelle… Je travaille à me libérer de blessures, des schémas de survie que j’ai mis en place pour ne pas sombrer, mais la vie m’offre de les regarder, pour les transcender… je ne peux, ni ne veux plus me battre contre moi-même, c’est là en moi. J’arrête de me mettre des coups sur ce que je contiens, sur l’être que je suis, même sous les angles que je n’ai pas encore embrassés, même sur mes zones d’ombres. J’ai plongé dans l’inconnu. Je sens que je touche là une peur profonde, de celle qui constitue l’être tant son ampleur est ancrée et répandue. Je ne sais pas encore bien comment faire pour m’accueillir telle que je suis, avec maladresse, je fais de mon mieux… je me berce et berce mon enfant intérieur que ce vide terrorise. Je laisse les larmes couler, pour toutes les fois où je les ai refusées, pour toutes les fois où je me suis dit «non, ce n’est pas le moment, pas en face d’eux, pas maintenant » pour toutes les fois où je n’ai pas osé, pour toutes les fois où je me suis imposée d’être forte, pour toutes les fois où la peur de sombrer m’a submergé, pour toutes les fois où je n’ai pas accueilli ma douleur, où j’ai nié la difficulté, pour toutes les fois où je n’étais simplement pas prête. Je laisse couler, je laisse le vide s’installer. Je vacille puis m’assois. Vivre cet instant est une petite mort, la solitude, vécue comme la peur d’être abandonnée. Merci, merci à cette confusion, à ce parallèle de m’avoir permis de toucher cela du bout de mon âme, du bout de mon être… « La peur de l’abandon », dans la première phase de ma vie j’ai d’abord lutté contre la peur, puis dans une seconde phase, j’ai cherché ce que je pouvais en faire. La peur de l’abandon, mille fois le mot est lu, mille fois la peur est décortiquée, mille méthodes sont préconisées. J’en ai essayé de nombreuses. Un premier accès du conscient. Bien maitrisée par le mental, la peur est masquée, mais pourtant bien présente dans les viscères, dans les profondeurs de l’être. Je l’ai lu et entendu tant de fois « il faut accueillir la peur »…. Oui très bien, alors je l’ai fait, mon mental a joué la partition à merveille, il a accueilli cette notion à son niveau. Merci à lui de m’avoir permis cette première rencontre. Ici s’amorce l’accès à la profondeur de mon être. Alors à pas de louve, je m’apprivoise doucement, me contacte dans mon entièreté, « ah ? Tu ne luttes pas ? ». J’expérimente une ouverture en moi. Le vide est, et pourtant je suis. Je ne suis pas morte, je ne suis pas devenue folle, le vide est, et pourtant je suis. Comme avant et pourtant… tout est différent. Le vide est, et je respire, peut-être même un peu plus fluidement. Je laisse les larmes couler, je laisse l’espace se libérer. Je n’ai pas allumé le poêle ce soir, pensant qu’il était trop tard pour le faire. Il fait froid, je ne peux parler ou écrire à personne, je suis juste seule avec moi-même. Je tente de m’apporter tout le soutien et la chaleur dont j’ai besoin. J’apprends, de chaque jour que je marche. Je ne laisse rien échapper à l’éveil de ma conscience d’être. Dans cet instant de difficulté, ma foi vacille, je le sens, vais-je y arriver ? La difficulté me parait immense tant l’espace qui se libère est grand, est-ce ainsi que se passe le processus de libération de mes peurs ? Je l’ai expérimenté à plusieurs reprises. Mes peurs sont une partie de ce qui a structuré mes schémas de vie, de survie. L’animus qui est en moi s’est accroché à ce qu’il y a de plus primaire, la présence du danger à structurer les peurs. J’observe à chaque fois que l’une d’elle se libère, que je traverse une forme de dépression, une phase de deuil du connu. Mon mental très actif m’a offert d’observer finement les schémas de peur, les habitudes générés des souffrances et des blessures, mais il m’a fallu du temps pour accepter de ne plus lutter contre. L’attrait urgent de la perfection m’y poussait. Je me suis construite dans la nécessité impérieuse de prouver ma valeur, de prouver que je valais mieux que mes bourreaux. Reconnaitre mes ombres et tout ce qui me constitue, dans les moindres parcelles de mon être, est un chemin d’abnégation et d’ouverture à ma propre compassion, dans son infinie sollicitude. Les larmes se sont taries pour ce soir, je monte les escaliers et trouve dans la bibliothèque qui le jalonne des BD d’Astérix et Obélix. Comme un automatisme bien rodé, je me saisis de la BD et je pars m’y réfugier. Ces deux personnages vigoureux, sympathiques et légers, qui surmontent toutes les difficultés avec aisance m’ont aidée à m’évader dans ma période douloureuse d’adolescente blessée. Ils me bercent d’une certaine illusion, mais cette dernière me permet de survivre. En cette nuit difficile, je fais à nouveau appel à cette force et cette légèreté. Ils m’accompagnent jusqu’à la porte des rêves, qui sont mon autre refuge, l’espace où mon inconscient m’aide aux changements, à un rythme ténu.
Je me réveille le lendemain en saluant humblement les lieux, accueillie par les mésanges qui peuplent le fayard, puis directement chercher de quoi me reconnecter. Je sais que je ne viens pas, en une nuit, à parvenir de libérer la peur de l’abandon. J’apprends en premier lieu que l’évolution intérieure et profonde prend du temps, que l’être et le corps en ont besoin. Dans l’espace où j’apprends le respect de moi-même, c’est un des éléments qui se met en place doucement. Je m’autorise alors à marcher ce chemin vers mes douleurs, mais à le marcher pas à pas. Ainsi pour ne pas être confrontée trop brusquement à la solitude, je vais donc chercher un boitier me connectant notamment à ce qui remplit le vide tant redouté. Je ne peux ni ne veux le vivre de façon continue, ma psyché n’y résisterait pas. Pourtant, la connexion au reste du monde ne sera pas possible immédiatement, pas le bon papier, et le lendemain, rupture de stock. Le message est clair, quelques jours sans… Alors j’achète. Une théière, des tasses, des coussins, des tapis. J’ai conscience qu’il s’agit d’achats « doudous », et les considère comme tels, je m’apporte de la douceur avec la matière, je ne sais pas encore faire autrement. Je n’oppose pas le « matérialisme » à l’essentiel de ce que je dois vivre, je suis faite de chair et de sang, je suis dans la matière, ce matérialisme, j’en ai besoin. Quant à l’acte d’achat, de consommer, de posséder, je sais que cela n’existe que collatéralement à un autre besoin en manque d’accomplissement, je ne me focalise pas dessus, car il n’est que la partie émergée de l’iceberg, et je navigue en profondeur. En rentrant au hameau, je croise la route de Fred, il garde les chèvres pendant les vacances des bergers. Je retourne à sa rencontre quelques heures plus tard à la chèvrerie pour l’achat de fromage. J’y rencontre sa compagne Emilie et leur fils Abel ; je me sens moins seule, je me sens accueillie et j’ai de délicieux fromages pour me contenter. La soirée est plus douce, les temps de mouvements et les temps de pauses alternent. Le lendemain, je pars dans la nature, je prends contact avec les lieux. La colline au-dessus m’offre un écrin précieux où je reprends profondément racine, les arbres me montrent. J’accepte un peu mieux l’inconfort de ma situation en plongeant mes racines, je m’ancre et me nourris de ce terreau que m’offre le végétal.
Un tapis d’orties s’offre à moi. Je les cueille non sans leur autorisation et dans le plus grand respect. J’écoute leurs messages. Chargés de précieux minéraux… le minéral, matière originelle… poussant les uns proches des autres… Seul, aucun ne survivrait, ils ont besoin les uns des autres, ils se nourrissent les uns les autres. J’entends. Les origines, les liens. Le soir au creux des ombres, j’allume les bougies pour mes ancêtres. Merci. Merci d’avoir été, d’avoir perpétué la Vie jusqu’à moi, quelle qu’aient été vos difficultés, quelles qu’aient été vos peurs, vous avez dit oui à la Vie. Je sens les éléments de transcendance hérités, battre en moi, et je sens leur soutien, leurs subtiles conseils. Au crépuscule, j’entre en lien, aidée de cet instant où les voiles entre les mondes s’affinent, nous sommes le premier novembre. J’allume les bougies, écoute, honore et remercie.
Au réveil, je descends les escaliers et comme chaque jour au moulin, j’ouvre la porte et sors sur le palier pour saluer les lieux, les présences. Bonjour puissant fayard, bonjour petit moulin. Mon regard est attiré dans l’angle, sur la petite table contre la maison, une cagette de pommes du jardin! Un joli petit mot de mon voisin Michel l’accompagne. Michel est l’âme née en ces lieux. Ces pommes et se gestes représentent beaucoup pour moi. Comme la rencontre de Fred, Emilie et Abel, il me ramène à une certaine réalité : je ne suis pas seule. J’ai conscience que je ne suis jamais seule, je suis très bien accompagnée dans le subtile, en lien avec mes proches, même à distance. Mais ne pas me sentir seule physiquement, dans le présent m’est une précieuse aide. Cela me donne l’élan du mouvement. Je pars alors sur le chemin qui continue le vallon. J’ai pris mon sac à dos, avec le nécessaire pour une journée de randonnée, mais aussi un sac en toile que j’ai suspendu autour de mon cou. La journée est belle et douce. Il m’est toujours important de me mettre en mouvement, pour intégrer mes expériences de vie. Marcher, aller vers les hauteurs, sentir l’âme vivante et vivifiante de la montagne sous mes pieds, sentir sur murmure me parcourir l’échine et me délivrer sa connaissance… Mes cellules vibrent le renouveau à son contact, elles se permettent plus aisément de mourir et de renaitre. De vifs églantiers bordent le chemin, c’est ici que la présence de ce sac de toile s’explique ! Je prends les baies arrivées à maturité, elles sont encore peu nombreuses, mais qu’importe, j’en ferai déjà les premières confitures. Le geste ancestral de cueillir me permet intuitivement de rentrer en contact avec la plante. Mes chers cynorhodons, vous qui êtes chargés plus que quiconque de cette fabuleuse vitamine C, lorsque les épreuves s’étirent en longueur, vous êtes là pour soutenir cette distance. La plante de l’endurance par excellence, tes baies sont mûres et propices à offrir leurs soutiens après les premières gelées, tu deviens alors tendre et douce, et offre toute ta puissance à qui se nourrit de toi. La dureté de tes baies te quitte après cette petite mort du froid, et tu t’ouvres alors à ton essence nourricière. Pourvue de saillantes piques, tu m’offres d’expérimenter la lenteur et la délicatesse pour accéder au divin fruit. Si je pars dans mes pensées et reprends le rythme inapproprié, l’épine dans la chair me rappelle l’apprentissage. Mon ascension se fait délicatement donc, au rythme des fruits se proposant à ma cueillette. Arrivant à la cabane du berger, une crête de roche m’attire. Je regarde sur la carte, pas de sentier. Qu’à cela ne tienne, cette voie sonne comme une évidence. J’avance alors avec le corps réveillant ses sens. Sur le terrain pâturé bordant cette crête, des rosés des prés se présentent. Dans le règne végétal, les champignons sont par excellence le symbole de ce qui se nourrit de la mort. Toute fin ouvre à une renaissance. J’ai un mental puissant qui s’abreuve des mots, les plantes elles, me font sentir la vibration. Mais en ce jour, rosés des prés, je vous cueille sans bien comprendre votre message, je ne suis pas encore mûre, je n’ai pas encore eu mes premières gelées de l’année, telles les roses sauvages. Ils ne m’en tiennent pas rigueur. Je laisse les plus petits afin qu’ils finissent leurs croissances. J’atteins l’orée de la crête, la roche est visible, je m’élance à son contact. Je sens l’animus qui coule en moi s’approchant à pas de velours de mon anima en reconstruction de ses blessures. L’espace qui m’entoure est immense et j’aperçois les arêtes qui éveillent ma curiosité, que vais-je trouver de l’autre côté ?
L’ascension n’est pas aisée, pas de sentiers, même de bêtes, je tente de rester sur l’arête pour la simple fierté de pouvoir le dire. La performante en moi a encore une place, de plus en plus ténue, mais elle est là, sans elle, je ne sais pas comment attirer l’attention dont j’ai encore besoin. Je me laisse porter par mon élan et lâche l’idée de persévérer précisément sur la crête, j’en contourne certains pans pour ne pas me mettre dans une situation dangereuse. Je marche parfois sur des tapis végétaux, sur l’un d’eux je m’agrippe pour franchir une marche, une plume est posée à côté de ma main. Elle est vieille et immense, je n’avais jamais vu de diamètre de hampe de cette ampleur. Je prends de ma main fine la plume patinée par les jours. Quel est cet oiseau qui me confie sa liberté ? Merci. Arrivée au sommet, je regarde la carte pour savoir où je suis. Je viens de chevaucher la crête des Dames.
Aurais-je ainsi effleurer la surface de l’âme ? Le féminin du lieu ne m’avait pas échappé. Je plonge mon regard dans le versant qui s’offre à moi, il est sombre et clairsemé de neige. J’attendais de la douceur, je reçois de la rugosité. Je plonge dedans.
J’avais trois options : retourner d’où je viens, prendre le vallon herbeux à l’est ou plonger dans l’ombre enneigée à l’ouest, recouverte de végétaux ne permettant aucune analyse du terrain à priori, et donc aucune maitrise, car la vue est tout de suite calfeutrée par les premiers arbres. Le cœur bat, il sait déjà… mon chemin est celui sans maitrise, celui qui me permet de m’ouvrir à l’inconnu. L’oiseau, a déposé en moi le goût du sauvage, de l’insaisissable, comme une subtile et nouvelle liberté d’être. La pente est telle que, quelques mètres après le départ, je dois déjà avancer en crabe. Les mains, au même titre que mes pieds, sont des appuis essentiels, je m’accroche pour ne pas glisser. Chaque mètre parcouru ouvre sur un nouveau monde de choix. J’arrive parfois devant des à-pics rocheux, contourne le vide, férocement agrippée aux végétaux qui m’aident précieusement. Parfois la neige recouvre le sol et je dois la balayer pour mordre le sol ferme et ne pas chuter. Le faisant, sur ma droite j’entends un bruit sauvage, un oiseau jaillit du lieu sonore ! Il est gros et s’envole avec une aisance toute relative, il est noir avec du blanc sur la tête, je ne l’identifie pas clairement même si quelques noms trottent dans mon esprit. Je n’avais rencontré aucun animal et ne m’attendais pas à déranger l’un d’eux dans son antre. Je m’excuse du dérangement mais je suis surtout comme une enfant à qui l’on vient d’offrir un cadeau rare ! Je te rencontre grand tétra, tétra lyre ou qui que tu sois, pour la première fois. J’ai cette sensation d’avoir découvert un trésor. Je termine ma descente de ce passage sauvage d’accès incertain avec une certaine légèreté, bien que mon attention ne faiblisse pas. J’arrive devant le sol dégagé et perçois le col. La partie la plus engagée en bientôt terminée et j’en éprouve un soulagement. A présent je m’offre la douceur de la descente dans ce vallon herbeux que j’entame après le col. J’aperçois au loin une forme de pierre en cercle, un peu après la cabane du berger vers laquelle je reviens. Je suis intriguée par ce cercle et m’en approche. Les roches sont bien implantées dans le sol, cela ne fait un certain temps que ce cercle est constitué. J’approche avec intérêt, mais lorsque je franchis le cercle, je me sens assaillie. Non, non. Pas cette fois, je ne veux, ni ne peux m’ouvrir à tous les univers subtiles trop rapidement.
J’en ressors alors immédiatement. Les lieux contiennent des emprunts des temps passés, de ce que les hommes y ont imprimé. Ici je ne veux pas aller voir les motifs laissés, pas cette fois. Je redéfinis les limites et les contours de mon être, je sens l’appel, mais dans le respect de moi-même, car je ne suis pas prête, je refuse d’entrer en lien. Je redescends vers le petit moulin qui m’accueille de son manteau protecteur. Ici je sais que je vais pouvoir déposer ce qui n’a plus lieu d’être en ma vie et laisser place à ce qui renaitra de ces cendres.
Partie 2 : Cheminant vers le grand Lac du Lauzet
La soirée est dédiée à l’organisation des quelques prochains jours, le fourmillement des êtres entre en pause demain soir, il me faut alors prévoir où , quand et comment pour ce temps. Mon amie Anne-Marie me propose d’aller dans son moulin cet hiver. Le moulin est un lieu qui a résonné en moi dès que l’on m’en a parlé la première fois. Il y a des lieux comme des êtres avec qui la résonance est forte. La première fois que je suis entrée dans le moulin, j’ai eu la sensation de retrouver un vieil ami. Pourtant lorsqu’ Anne-Marie m’a offert d’y passer l’hiver, je n’ai pas tout de suite sauté de joie. Le moulin, c’est aussi une maison isolée. Ma peur de l’isolement est néanmoins vite dépassée… ce lieu m’appelle ! Je prévois alors le soir de passer chercher mes affaires à Annecy le lendemain matin et de prendre la route pour le moulin. Pourtant, au réveil, je m’habille avec mes affaires de randonnées… et oui… impossible de me retenir d’en faire une dernière avant d’aller au moulin, encore un lac qui m’attire à lui ! Cela sera le grand lac du Pont de l’Alpe. Le vent est bien présent ce matin et je le sens s’infiltrer dans tous les recoins. Je m’habille bien et commence l’ascension. Il est tôt et le parking est déjà bien rempli, je ne suis pas là seule à faire le plein de l’énergie de ces hauteurs ! Une famille avec 3 jeunes enfants démarrent peu ou prou en même temps que moi. Je commence sur le sentier pentu qui borde la belle cascade, puis j’arrive sur le plateau où le magnifique sorbier accueille tous les randonneurs.
Je dépasse le joli petit hameau de l’Alpe du Lauzet, dans lequel les parents de mon amie Lucile ont un chalet d’alpage. Quel lieu paisible, je comprends tout à fait qu’ils aient eu le coup de cœur pour ce lieu ! Mais aujourd’hui, le vent est dense ! Il nettoie peut-être la profondeur des êtres. J’avance dans le cirque, vers le passage un peu équipé, une petite cheminée où la neige est tombée, je ne sais pas dans quel état est le passage, mais j’ai confiance. J’avance tranquillement vers ce passage et aperçois la famille toujours derrière moi, ils avancent tranquillement mais sûrement. Je croise alors un couple, les vêtements de la dame sont pleins de terre. Je leur demande si tout va bien et s’ils ont besoin d’aide. Elle me répondra que non, cela ne va pas du tout, elle a le vertige et n’a pas pu franchir ce passage. Son mari m’explique qu’on leur a dit que ce passage convenait aux personnes ayant le vertige. Drôle d’idée ! Mais je me demande si ce n’est pas un classique du coin, car la première fois que je suis venue dans ce passage, à la descente, une personne était bloquée de terreur vertigineuse. La dame est très déçue de n’avoir pas vu de bouquetin. En prononçant ces mots…. trois d’entre eux se présentent sur le versant en face de nous, elle se redresse d’un coup et reprend vie ! Que c’est beau lorsque la nature nous offre de transcender nos peurs ! Je les regarde terminer la descente, elle semble bien plus à l’aise, j’en suis bien heureuse pour elle. La petite famille les croise, j’entends des échanges au loin. J’imaginais qu’ils allaient peut-être faire demi-tour… que nenni ! Le plus petit doit avoir 4 ans, mais ils s’engagent tranquillement dans la cheminée. Je termine mon ascension de cette partie engagée, avec toujours ce goût de ne pas utiliser les équipements. Mais pour quelques marches, je n’ai pas le choix, trop de neige, ne pas les utiliser serait un risque de chute sans concession. Il y a quelques mois, je l’aurai fait sans équipement, car j’aurai juste mesuré le risque de mes appuis, je n’aurai pas pris en compte le résultat d’une chute. Florent m’apprend cela, à regarder mon environnement global, avant de prendre une décision. Là, la chute est totalement proscrite, et la neige est joueuse, je ne prends donc pas ce risque. J’arrive au lac, le vent est intense et froid ! Je me couvre mieux et m’approche du lac. Je m’y étais baignée il y a quelques mois, frais et fort vivifiant ! Je ne veux pas continuer sur le sentier classique et dessine un chemin sur le montagne qui me permet d’aller au bout du lac avant de retourner au pied des arêtes de la Bruyère. Je me retourne pour voir la famille arriver, bout de choux en tête de cette ascension ! J’avoue qu’ils sont un peu loin maintenant, mais j’aurai aimé les féliciter ! Je ne sais pas bien pourquoi cela me met tant en joie, peut-être parce que j’ai la sensation qu’ils offrent à leurs enfants un espace de liberté précieux… Je monte en hauteur du lac, avec cette joie au ventre. Je suis isolée, sur un chemin tracé uniquement par mon instinct, je retrouve des traces d’animaux, je suis à présent bien seule. Le soleil perce de ses rayons les nuages, qui baignent les montagnes environnantes, je crois reconnaître les Agneaux en face.
Cette sublime lumière m’ouvre un peu plus le cœur. Je ressens à nouveau la présence de la mort… de la vie, de cette danse entre les deux, à nouveau cette sensation de légèreté prend place en moi. Le froid me saisit mais je ne veux pas lutter, qu’il aille où il veut, je me réchaufferai rapidement en reprenant le chemin. Je me délecte de l’instant, laisse cette sensation me parcourir et m’emplir pleinement. Lorsque je ne sens plus mes mains, je me décide à me remettre en mouvement ! J’aperçois à nouveau des êtres humains, j’ai eu besoin de cet instant de solitude, pour me recharger complètement, mais à présent je suis bien aise de retrouver mes congénères ! Au pied des arrêtes de Bruyère, se termine la phase d’ascension. Je tente d’appeler ma maman pour partager avec elle l’immense beauté des lieux, mais le réseau ne passe pas. Un dernier regard sur le lac et j’entame de redescendre. Le vent est moins fort sur ce versant et nombreux sont ceux qui en profitent pour la pause déjeuner. J’échange quelques mots avec les gens, mais mon enfant intérieur (en accord avec mes genoux ! les coquins se sont ligués !) trépigne ! Trottiner dans la descente et dans le neige… bien trop tentant ! Yallah c’est reparti ! Je ne pensais pas manger mais des traces de bête m’attire vers un petit lac gelé, le lieu appelle à la pause, je sors alors mon bout de fromage et mon quignon de pain. La pause est douce car le soleil pointe ses jolis rayons à l’endroit où je suis.
Mais lorsqu’il repart à la découverte d’autres territoires, le froid est trop présent pour que je reste, je reprends alors mon chemin. J’arrive derrière deux personnes assez âgées, la femme est derrière et d’un coup chavire sur la gauche ! Ils sont dans un raidillon bien profond donc aucun choc, je lui demande si tout va bien, et elle acquiesce avec un grand sourire ! Et elle dit à son mari en rigolant « A gauche ! Heureusement que c’est tombé sur moi » et le mari de m’expliquer qu’il vient de se faire opérer de l’épaule gauche et qu’il ne doit absolument pas tomber dessus ! Les deux rient de bon cœur à cette scène, je leur réponds alors que madame vient de tomber à la place de monsieur pour qu’ils puissent encore gambader de nombreux sentiers ensemble ! Ils sont touchants. Nous arrivons alors sur un passage assez glissant. La neige fondante a créé un sol boueux, et les nombreux pas ont à leurs tours engendré de miniatures toboggans ! Pas sûr que ce passage soit facile pour eux. Je m’avance doucement, et reste à une distance raisonnable en cas de besoin. Les deux se débrouillent très bien, se sont clairement des montagnards eux aussi, ils n’ont pas besoin de moi. Je termine ma descente, trottinant et sautillant de joie. Je passe le hameau et salue les lieux avant de passer devant le sorbier, merci de ton accueil joli coloré. Je capte à nouveau le réseau et sens mon téléphone vibrer dans ma poche, et vois un appel manqué de maman. Je la rappelle immédiatement, en vidéo je vois ma tatie ! Maman lui prête ses mots car elle est très fatiguée et a de la difficulté à parler. Quelle joie de les voir toute les deux ! Je leur montre l’environnement, le joli mélèze qui borde la cascade et adouci le paysage, pour réchauffer de l’intérieur le corps qui a froid du vent, qui a froid de la douleur.
Je sens que Tatie est entre les mondes. Tatie, ce n’est pas ma tante, c’est une amie de ma maman qui a été très présente dans notre vie. Petit bout de femme, de son mètre 50, une force de rire et d’entrain ! Que de souvenirs… TOUT était sujet à rire, son rire même l’était ! Et ses expressions divines… « C’est nan naaaan !! » avec un délice dans la voix qui signifiait la douce saveur de ce qui était honoré d’un « nan naaaan » et son sublime « çaaaa fait péteeer » ! qu’elle pouvait asséner en n’importe quel lieu si le mets en question avait cette particularité… dont son fameux chili ! Je crois que la phrase « Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir » la définissait bien. Oui, j’écris à présent au passé. Tatie est partie hier matin lorsque j’écris ces lignes. Cela prend petit à petit place en moi. C’est tout un processus le deuil. Encore un peu de présent, où s’insuffle petit à petit le passé… Je sais et sens à quel point il est difficile pour maman de te dire au revoir Tatie, tu es si importante pour elle, tu emportes avec toi des années de complicité entre vous, tu es son indéfectible amie, vous avez été ensemble pour les pires galères, les pires joies, et les pires conneries ! Je dirais même de pétage de câble complet ! Les batailles de chantilly, d’œufs, les roulades bien arrosée sur la plage, mon dieu que vous avez ri ensemble ! Le rire comme une bulle de respiration face à la douleur. « Je me suis battue toute ma vie, mais cette fois, je n’ai plus envie. » ce sont les derniers mots que tu m’as offert Tatie. Les derniers mots. Quel immense cadeau ! Avec ces quelques mots, tu m’as ouvert à la possibilité du Choix de vivre ou de mourir. Tu m’a permis de comprendre cela. Et de pardonner à mes proches qui ont choisi la mort. Ma mémé, en premier lieu. Mes aïeuls ont parfois choisi la mort, devant l’immense désespoir et dureté de cette vie. Mais ils m’ont aussi offert la possibilité d’être là sur cette terre aujourd’hui. Parce qu’il a fallu que chacun d’entre eux disent OUI à cette vie, OUI à offrir la vie, qu’aucun d’eux ne manque à l’appel, pour que je sois ICI aujourd’hui. « Je me suis battue toute ma vie », Tatie, cette phrase résonne tant en moi. Battue contre moi-même dans tous les aspects de moi que je n’acceptais pas, battue contre les autres pour trouver ma place. La lutte de la Vie contre la mort, de l’égo et du mental contre l’intuition, de toutes mes dualités qui s’opposent, tout. Tout était prétexte à cette lutte. La lutte intérieure… la lutte extérieure… je connais tant Tatie. Pour toi, l’arrêt de la lutte signifiait l’arrêt de la vie, et tu m’offres de choisir l’arrêt de la lutte PAR et POUR la vie. Ton âme est prêt de moi lorsque j’écris ces mots, je sens ton amour, tu étais un petit bout de femme avec une immense bonté.
Partie 1 : Cheminant les Lacs Laramon et Serpent, dans la vallée de la Clarée
En redescendant de ma randonnée des lacs de Freissinières, je rallume mon téléphone et reçois un message d’Antoine… je vais devoir annuler le voyage chez maman, cas de conscience. Je devais prendre l’avion le lendemain matin, et cela faisait 10 jours que je trépignais de joie de la voir. La tristesse m’effleure, mais j’ai cette capacité à rebondir et maman aussi. Nous convenons alors de nous appeler tous les jours en visio, et d’être bien présentes l’une pour l’autre, cela en devient presque un jeu ! Je retourne alors à Névache rejoindre Antoine. Le lendemain je me saisis de l’instant pour aller randonner aux lacs Serpents et Laramon, au-dessus du refuge de Ricou, là où nous étions allés cet été avec Raph. Avec Antoine, nous nous occupons de faire la transition entre locataires pour des amis, ainsi, j’ai un créneau de 4h pour ma randonnée, c’est parfait. Nous faisons le ménage tous les deux, ce qui m’amuse, c’est drôle de faire le ménage entre amis, ce n’est pas une tâche que l’on partage souvent ! Je le dépose aux Roubions avant de retourner à la fruitière pour garer ma voiture. J’entame alors la randonnée, le site est bien peuplé ! Beaucoup de personnes se baladent, seules, en couples, entre amis, en famille, certains jusqu’au Refuge, d’autres poussent un peu plus haut… L’ambiance est calme, je sens que pour certains ces moments dans la nature sont une urgence à vivre, d’autres veulent profiter de ce que la nature les mènent vers leurs doux paysages intérieurs, ceux qui sont là ne sont pas vraiment dans la performance ni la solitude des grands lieux, c’est une journée spéciale et tout le monde partage ce bout de temps avec les âmes croisées. Pour ma part, je partage des regards et des sourires, mais je reste un peu dans ma bulle, je marche ce sentier car cela fait quelques jours que je sens une peur qui s’agite en moi, et c’est au cœur de la nature, au cœur de ses montagnes que tout s’éclaire en moi. Ce que nous vivons, la civilisation et la génération à laquelle j’appartiens, éveille en moi de nouvelles choses, et à ce moment présent, je sens que mon lien à la mort est en résonance. C’est une de mes réflexions : la présence de la mort, son imminence et son inéluctable apparition, dans cette société qui la cache, dans cette société où la mort n’a pas sa digne place. A tout mettre en œuvre pour la faire disparaître, faire disparaître la vieillesse, faire disparaître le risque qu’elle arrive, n’en sommes-nous pas un peu devenu mort vivant ? Cette réflexion n’est pas nouvelle et est bien maîtrisée par mon mental, et je sais qu’en prononçant ces mots, je ne lâche rien. Eventuellement je me rassure ? Pire peut-être : je dépose une jolie couverture de beaux mots, et n’accueille rien de moi. Je dépasse le refuge de Ricou où la vie bat son plein, de belles tablées sont installées pour manger, les gens profitent de ces lieux précieux, d’être ensemble. Je continue de marcher, la neige est déjà présente à cette altitude. Le temps est impétueux et à chaque instant il peut passer du grésil au soleil qui réchauffe les corps, d’un air doux, presque plat, à des rafales saisissantes… le temps en montagne est souvent très changeant, mais ces quelques heures m’offrent une palette qui prend des virages à 180° ! J’oscille entre t-shirt et bonnet/gants ! Cela n’entache pas un seul instant ma communion avec la nature. Au contraire. Je suis comme elle, ça bouge à 180° à l’intérieur de moi. Tels les lacets qui serpentent dans cette ascension vers les lacs, je chemine et serpente aussi à l’intérieur de moi. Vais-je choisir de vivre une vie LIBRE où la mort à sa place, une vie où la liberté est l’essence de mon être ? Ou vivre en précaution de ce qui pourrait m’arriver ? J’arrive au premier lac, le lac Laramon. La neige est déjà bien installée, pour mon plus grand plaisir, elle borde généreusement le lac ! S’immisce alors en moi une légèreté, bercée par la blancheur scintillante et la pureté qui recouvre la terre.
Je me sens d’une joie rieuse, et oui… il n’y a RIEN de grave. Ainsi la Vie est un grand mystère, une précieuse danse, une transcendance. Accueillir la vision que la Mort n’en est pas l’opposition, est un cadeau ! La libération pas à pas d’une peur immémoriale… Pendant des années j’ai non seulement nié la mort, mais aussi la peur qu’elle générait en moi. J’ai perdu une amie d’enfance à l’âge de 11 ans, je ne suis pas allée à son enterrement. Lorsque j’ai eu 18 ans, mon papa est mort. J’ai préféré ne pas voir son enveloppe corporelle baignée de cet état de mort. J’ai lutté fort à l’intérieur de moi pour crier haut et fort que je n’avais pas peur de la mort. Si. Si j’ai (eu ?) peur de la mort. A présent, suis-je en train de transcender cette peur ? Je me retourne pour accueillir mon passé et pour observer le paysage. Je vois comme les saisons se renouvellent. L’espace ou nous avions dormi à la belle étoile cet été avec Raph est recouvert de son manteau de neige. Se souvenir m’emplit d’une douce joie. Les deux lacs sont proches, il me faut peu de temps pour arriver au lac Serpent. Je sens ce mouvement reptilien en moi, et suis bien heureuse d’être soutenue par l’esprit des lieux. Je continue encore quelques mètres mon ascension. J’hésite à rejoindre le lac ou nous avions pique-niquer avec Raph. Mais les prochains locataires arrivent dans 2h petites heures ! Un rocher qui surplombe légèrement le lac m’attire, je vais donc m’y attabler pour le déjeuner avant de redescendre. Les rayons du soleil dansent avec les nuages et les montagnes environnantes, j’ai devant moi un panorama qui invite l’âme à l’apaisement.
Je reste quelques temps sur cette roche qui m’accueille. Moi et les cailloux… une longue histoire, celui-ci me fait du bien ! Après m’être ressourcée à ses côtés, je prends le chemin du retour. Dans ce sens, la vue est ouverte sur la vallée, et les montagnes de l’autre côté du vallon, c’est somptueux. Le temps oscille encore et toujours, m’offrant de superbes fresques mouvantes. Je craignais un peu la descente trop rapide car la neige s’est quelque peu transformée sous les nombreux pas, et laisse parfois place à la glace ! Je commence alors doucement. Rapidement mon pied s’habitue et commence alors une descente comme je les aime, en trottinant ! Cela me soulage les genoux qui lorsque je descends doucement couinent allègrement ! Et j’en ressens aussi le bénéfice de la joie de mon enfant intérieur qui se régale de ces descentes trottinantes… surtout avec la neige ! Les jolies glissades ne sont pas pour me déplaire ! Un peu au-dessus du refuge de Ricou, j’observe les mélèzes, je sais que ce sont les dernières aiguilles, que bientôt ils entreront pleinement en sommeil jusqu’au printemps prochain. Je prends le temps… comme pour leur dire au revoir et bonne nuit… doux repos hivernal, jolis arbres qui vous parez des plus douces aiguilles, pour la plus grande joie de ma peau, qui aime à se laisser caresser par vous.
Je sors de ce doux dialogue en arrivant à hauteur du Ricou, j’ai finalement mis 20 minutes à descendre, j’ai le temps pour faire une petite pause et même prendre un jus ! Enfin ça, c’est dans mes rêves, c’est le dernier jour avant la fermeture saisonnière, il ne reste que du rouge ! Pas que ce breuvage me déplaise, mais j’avais plutôt envie d’un jus de pomme ou de myrtille, d’autant plus que les jus du Ricou valent le détour ! Après quelques mots échangés avec Martin, je reprends le chemin et termine cette randonnée au milieu de familles venues se promener. Un couple en particulier attire mon attention, ils ont 4 enfants avec eux, jeunes enfants. Et le temps changeant, la neige, l’altitude, le dénivelé… ils sont là. Les enfants ont l’air tout à fait à l’aise dans cet environnement. Deux d’entre eux sont même bien devant les adultes et semblent discuter d’un sujet très sérieux ! Ils ne doivent pas avoir plus de 7 ans, cette image me ravit ! J’achève cette randonnée le cœur papillonnant de l’ouverture qui s’est créé en lui. Reconnaître ma peur de la mort m’ouvre à une certaine légèreté, comme une lutte qui s’apaise, un statut quo qui se met en place.
Bivouac à la pointe d’Almet
Une surprise. J’adore ! Ce samedi je vais célébrer pour la 36ème fois ma naissance et Florent m’offre en surprise d’aller bivouaquer, mais le créneau est serré. Le vendredi nous ne sommes libres qu’à partir de midi et le samedi, je dois partir à midi aussi, pour rejoindre celles devenues les femmes de mon clan, pour un voyage initiatique. Nous avons donc un créneau de 24h. La météo n’est pas reluisante sur le papier. Les diverses sources convergent vers une fenêtre sans orage de vendredi fin d’après-midi, à samedi milieu de journée, c’est juste ce dont nous avons besoin ! Néanmoins, il s’agit d’orages, qui plus est dans un environnement montagneux… certitude technique de ce créneau vers les 10% donc… Mais ! Cela n’entame pas le moins du monde notre enthousiasme et notre conviction d’aller dormir sous le duvet étoilé. Le vendredi matin nous préparons les affaires pendant que Florent m’expose son plan. J’adhère sans hésiter. Nous arrivons quelques heures plus tard au col des Annes au pied du massif des Aravis. Nous savons par ouï-dire qu’à la pointe d’Almet, il y aurait une place relativement plane pour caler grossièrement deux matelas de bivouac, alors cette pointe sera notre hôte de la soirée. Mais en lisant le terrain qui s’offre devant nous, Florent hésite sur l’accès. Peut-être était-ce de l’autre face qu’il fallait accéder. Celle-ci ne semble pas impossible, mais il est vrai qu’elle est taillée sèche ! C’est herbeux, mais en gardant le cap, nous allons prendre tout le dénivelé dans les jambes sans souffler ! Nous croisons le fermier d’une des deux ferme du col, et lui demandons (combien de bêtes dans son cheptel, si l’année fut bonne pour la production du fromage, s’il est heureux ! Je ne peux pas m’en empêcher !) si la pointe est bien accessible de ce versant, il élude cette question et nous prévient par contre des orages à venir, et nous conseille de rebrousser chemin. Je sens dans son regard l’incompréhension à faire une telle ascension… sans piquet de clôture, sans vache… mais quel intérêt ? Et ces deux zigotos qui s’engagent en montagne alors que l’orage arrive… le laisse plus que perplexe ! Nous percevons ce qu’il pense et cela fait douter encore un peu plus Florent. Pour ce qui me concerne, cette voie me va parfaitement. Et pour l’orage, nos deux ressentis convergent : nous aurons le temps qu’il nous faudra ! Et puis nous amenons le tarp avec nous, nous serons donc abriter si nécessaire. Nous entamons alors la lente ascension, allant tout doucement. Il faut dire que me concernant, les deux mois de pause me donnent physiquement du fil à retordre, j’ai perdu beaucoup de muscles, cela me prend du temps de les reconstituer. Il n’y a pas de sentier, et nous prenons au cap, seules les marmottes naviguent en ces lieux. Excusez-nous mesdames pour le dérangement. C’est un peu tôt pour la saison à cette altitude, mais les premières fleurs sauvages et médicinales font leur apparition ! Il n’est pas question de cueillette aujourd’hui, il nous faut avoir trouver où dormir assez tôt, car en cas d’échec, il nous faudra rebrousser chemin avant la nuit. Evidemment même si dans l’absolu tout est possible, je ne crois pas un seul instant à cette éventualité ! Quitte à être un peu en pente ou caler entre des rochers, c’est là-haut que je soupirerai d’aise vers le sommeil ce soir ! Le vent s’engouffre vers nous à l’approche de l’arête et lorsque nous la foulons enfin, le paysage devient somptueux.
La neige est encore présente et clairseme les pentes de sa blancheur. Nous arrivons d’abord sur la crête menant à la Pointe de Grande Combe puis continuons sur l’arête menant à la Pointe d’Almet, surmontée d’une croix. La montagne nous offre une course effilée autour de la combe des Fours à laquelle Florent ne pourra résister. Je profite de son escapade pour observer les alentours, et suis quelques chemins de bêtes pour sentir le sauvage battre en moi. C’est alors que je trouve une belle plume de rapace… quel doux symbole. Je me pause dans cette herbe généreuse, et profite de la belle énergie du lieu.
Ayant terminé son exploration des arêtes (en courant) Florent me rejoint. Nous prenons le temps de l’observation silencieuse de ce qui nous entoure. Deux grands rapaces se posent sur le fil de la montagne au loin. Florent m’informe que des Gypaètes nichent sur une falaise proche, je me prends à rêver d’enfin en voir un ! Ces oiseaux me fascinent. Le premier qui murmura leur nom à mon oreille fut Thibault, un ami passionné de vol, d’hommes et d’oiseaux. Aujourd’hui il veille sur nous là-haut. Il m’a fait découvrir bien des choses ce Vosgien habité par la montagne et par les hautes sphères. Avec Olivier, ils partaient parfois après le travail en randonnée, dormant dans leur sac de couchage accroché je ne sais où pour ne pas chuter, et revenais à ce même travail le lendemain ! La liberté qui l’habitait était une grâce et me nourrit encore aujourd’hui. Bien au-delà du drame, c’est aujourd’hui cette mémoire de lui qui m’accompagne sur mon chemin. Lorsqu’il me relatait ses bivouacs, j’avais les yeux pleins d’étoiles, mais je n’avais pas encore rencontrée la montagne comme je la rencontre aujourd’hui et cela me paraissait un rêve bien lointain. Et pourtant ce soir, je pense à lui, je pense à ces rêves qui un jour prennent vie. Quand je pense à lui aujourd’hui la tristesse à fait place à une douce mémoire quelque peu mélancolique, peut-être encore quelques regrets de n’avoir pas partagé assez… Mais je me sens surtout heureuse de l’avoir connu, il est des êtres dont la lumière ne s’éteindra jamais en mon cœur. Pendant ces douces pensées, le jour laisse place lentement au soir, nous cherchons alors un endroit pour installer le bivouac, il est rapidement trouvé en redescendant après la pointe d’Almet, sur un petit replat douillet qui nous tend les bras, direction la cime de Février. Là nous serons bien, j’en ai la certitude. Le vent se lève à nouveau et les nuages s’amoncèlent.
Mais je sais que la nuit sera étoilée. Je ne suis pas météorologue, mais j’ai cette confiance en les éléments, je sens leur douce caresse, ils sont avec nous, et les étoiles seront mon toit cette nuit. Pour nous protéger du vent et de la pluie éventuelle, nous montons le tarp et installons les matelas sur l’herbe soyeuse tapissant le sol. Avant d’installer notre lit pour la nuit, je fauche les orties présents, à cette altitude se sont des bombes nutritionnelle, je les dégusterais avec mes consœur de voyage. Certes nous sommes en juin, mais il fait bien frais à cette altitude et dans ces conditions, le repas est vite pris (je me note de suggérer délicatement de prendre le relais sur la composition des repas de bivouac ! Je ne suis pas tant fine bouche qu’estomac délicat qui m’en voudra un peu de ce repas ! Ce qui me fait plutôt rire, heureusement nous sommes en plein air !) puis nous nous roulons comme des nems (frileux !) dans nos duvets. Blottis l’un contre l’autre, nous cherchons à nous caler. Mais je suis gênée… Je ne vois pas le ciel ! Je veux bien la présence du tarp qui nous protège pas mal du vent, mais pas au niveau de la tête, je veux dormir avec les étoiles ! Alors je me décale afin de voir le ciel. Certes, à cet instant il est nuageux, nous aurons même quelques gouttes à venir nous chatouiller, mais je sais qu’il n’en sera point ainsi toute la nuit ! Nous nous endormons peu à peu, laissant Morphée nous saisir dans ses bras. Pour peu de temps ! Je me réveille régulièrement pour observer le ciel, peu après notre couché, les premières étoiles sont venues nous saluer, très discrètes d’abord.
Puis la nuit faisant son chemin, les yeux se sont ouverts au rythme des mouvements des nuages, jusqu’à ce que le ciel nous offre une voute céleste sublimement étoilée. Merci merci. Au-dessus du sommet des Aravis, trône Venus… couronnée de la voie lactée. Divin ! Et moi qui vous disait que j’aimais le symbole de la plume ! Me voici face à Venus, scintillante de mille feu, puissant symbole de la féminité, à l’aube de ce jour fêtant mes 36 ans et du début de ce voyage initiatique au cœur du féminin. Sublime. Je sais que je suis au bon endroit, sur mon bon chemin. Je savoure chaque instant de cette précieuse nuit.
Florent se lèvera plusieurs fois pour aller saisir en images cette nuit magique. Je suis touchée par cette manière qu’il a de vivre la photographie, rien n’est trop inconfortable pour lui, il est transporté par l’appel de l’image, habité par cet élan. L’aube naissante, la lueur de l’astre du jour pointe dans le ciel, je m’extirpe de mon duvet et m’habille rapidement afin de ne pas laisser au froid le temps de pénétrer mon corps. Florent m’entends bouger et suit le mouvement, en se saisissant immédiatement de son appareil, prolongation de lui-même. Je profite de cet instant d’éveil de la nature, pour procéder au mien et fais quelques mouvements pour réveiller mes muscles en douceur. Le vent est léger et maintien la fraicheur vivifiante de ces prémices du jour. Lentement, la lueur se fait plus intense. Et il se leva. Nous éblouissant dès le premier rayon. Florent, qui s’est éloigné derrière moi, me demande alors de continuer mes mouvements, mais de les garder immobiles quelques secondes,. Je l’imagine alors en train de capturer cet instant d’éveil dans la grâce de son art. Je me prête volontiers au jeu, surtout qu’il me contraint peu. Et finalement j’en oublie même les instructions et fais simplement ce que mon corps appelle. Florent ne dit plus rien, je le devine en train de se nourrir lui aussi de se lever de soleil. L’instant est précieux, j’en ressens la beauté dans tout mon être. Nous sommes sur ce replat, au milieu de cette douce arête, à plus de 2000m d’altitude, seuls, le soleil se lève au-dessus de la chaine des Aravis, nous offrant sa divine lumière, aujourd’hui j’ai 36 ans et m’offre de vivre pleinement cet instant.
Nous retournons à la pointe d’Almet pour profiter de la vue panoramique et observer la danse des nuages. Puis lorsque nous redescendons, nous nous activons pour préparer le petit déjeuner. Florent aura amené une belle brioche au chocolat pour y planter une bougie. Cette petite lueur qu’offre cette attention me touche profondément. Je souffle alors cette bougie et savoure le vœux fait qui, quelques mois après se réalisera. Nous déjeunons cette délicieuse brioche au chocolat tranquillement, je célèbre cette journée avec ton mon être!
Nous constatons tout de même que le temps passe et qu’il faut penser à redescendre, il me faut partir d’Annecy à 13h au plus tard et il est déjà 10h. Nous plions le barda non sans profiter de ces derniers instants en ces lieux qui nous ont fort bien accueillis, je remercie. Voyant la voiture en contrebas, nous décidons de ne pas reprendre l’arête faite hier mais de descendre au cap dans les pierriers. C’est la première fois que je descends rapidement dans un tel terrain, Florent me donnera de sages conseils afin de bien assurer mes pas. Je vois une ombre rasant l’amoncèlement de pierre, un vautour ! Puis deux, trois… sept ! Quelle chance d’être accompagnés par ces majestueux oiseaux, il symbolise la renaissance, le cycle de la Vie, et la Mort. Que serions-nous sans elle ? Chaque seconde est un cycle de Vie Mort Renaissance, sans cela le mouvement, l’évolution seraient impossibles. Nous continuons notre descente non sans suivre d’un œil leur traversée vers les Aravis. Juste avant l’arrivée, nous traversons des prés avec les paisibles abondances qui nous offrent le précieux nectar nécessaire au reblochon, je salive rien qu’à l’idée ! Ont-elles conscience de ce fabuleux environnement dans lequel elle paissent ?
Arrivés en bas, nous décidons d’aller chercher ce fameux fromage au col. Nous rencontrons alors les Hymer, Xavier et Stéphanie et le dernier né de la petite famille ! Quelle rencontre ! Ces deux-là sont passionnés. Nous bavardons tant et si bien avec Stéphanie que je suis clairement en retard mais tant pis, ces fromages sont un délice et l’entendre nous expliquer le fonctionnement de leurs fermes me réjouis ! Florent prendra même quelques morceaux de viandes, car il sent le respect que ces fermiers ont pour leurs bêtes. Stéphanie est d’un dynamisme et d’une joie fort communicative, et c’est avec cette humeur offerte par cette belle rencontre que nous terminons cette belle escapade. La magie de l’instant est encore présent en moi aujourd’hui, bien que cela fasse quelques mois que j’ai soufflé cette bougie. Il est des lieux, il est des êtres, qui offre à l’instant une dose supplémentaire, et ô combien précieuse, de divin à cette vie.
Cheminement au cœur du Granier, avec Florent, Val et Yo
Besoin de calme, de douceur et insatiablement envie d’être en montagne, le programme est alors discuté avec Florent. Nous convenons d’une soirée ciné, puis randonnée le lendemain. C’était sans compter les copains et leurs bonnes idées ! Val et Yo nous proposent de venir les rejoindre chez eux à Chambéry pour la soirée, et d’aller randonner ensemble le lendemain, objectif le Granier. La proposition est alléchante, nous acceptons avec joie ! Milieu d’après-midi, mon besoin de calme est intérieur et je prends alors le temps de la méditation. Ce que je nomme « méditation », n’a aucun protocole établie. Je suis juste à l’écoute de ce vers quoi mon corps, mon être, me mènent. Assise en plein soleil, j’accueille sa lumière et sa chaleur, c’est exactement ce dont j’avais besoin. Pendant la méditation, je vois l’image d’une énorme peau me recouvrir, avec des maillons dans le dos. Certains sont enlevés, cette peau me quitte. Je sens la nécessité de l’enlever patiemment, maillon après maillon. La vie m’apporte, avec son lots d’ « exercices », la fabuleuse possibilité d’évoluer, de quitter les anciens schémas et croyances, pour entrer dans une nouvelle ère de moi-même. Je reviens doucement après ce voyage intérieur dans le mouvement du corps. Je commence alors la préparation des affaires pour ce petit périple avec Val et Yo. Florent m’a offert un joli gilet en mérinos, créé avec conscience par la marque engagée annécienne : Les Hirondelles. Je le mets et me regarde dans le miroir. Je vois la femme que je suis. Habituée à osciller entre la femme et l’enfant en moi, je sens à cet instant que la femme à toute sa place. Sacs prêts, Florent s’active à son tour, après avoir terminé ses derniers échanges avec l’initiateur d’un concours photo dont il est membre du jury. Nous chargeons la voiture et le départ est sonné, direction Chambéry. Nous arrivons rapidement. La soirée est vraiment celle dont j’avais besoin, Val et Yo sont des passionnés du Japon et de ses montagnes, Val est architecte, leur intérieur reflètent bien ceux qu’ils sont. Simples et à la fois précis. Chaque élément est à sa place. Ils ont créés un espace très accueillant. L’apéro est un mélange de chips de choux Kale concoctées par Val et de débats sur l’itinéraire du lendemain. Les cartes sont sorties : distance, dénivelé, neige, éboulement, pluie… tout est abordé ! Je n’entre pas vraiment dans le vif de cette conversation, j’ai confiance en Florent et sa capacité à nous mener là où il faut. Néanmoins, en entendant quelques noms prononcés, cela m’éveille un souvenir… n’y a-t-il pas une grotte à traverser ? Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais pu entrer dans une grotte. Une peur bien ancrée. Cela m’a value en certaines situations de faire des kilomètres de détour à pied lors de randonnées, ou pire, une fois j’ai même été saisie d’une crise de panique dans un tunnel (de roche apparente) où j’ai perdu le contrôle de mon véhicule. Mais je sens, sans m’y être confrontée réellement, que cette peur a évolué. Je suis sans attente, je ne projette rien. Yo n’a pas l’air d’être très enjoué à l’idée de cette randonnée, mais j’ai le sentiment qu’il en faut peu pour le motiver ! Nous prenons ensuite des forces avec les délicieux plats préparés par nos deux amis, avant de mettre en place un jeu de plateau que nous affectionnons particulièrement. La seule et unique partie, nous fera terminer cette soirée en beauté ! Il est alors l’heure de rejoindre les bras de Morphée, nous installons notre lit pour la nuit dans le salon. Je m’allonge avec la nette impression qu’elle ne sera pas bien longue pour moi. Je regarde les heures défiler sur l’horloge… je suis un peu inquiète pour mon état le lendemain ! Ce qui me maintient encore un peu plus à l’état d’éveil ! Quand le réveil sonne je ne suis pas de toute fraicheur, et nous nous prélassons quelques minutes de rabe dans le lit. Cela s’active au-dessus de nous et Yo finit par sonner le réveil définitif ! Les corps se mettent alors en mouvement, il est temps ! Nous mangeons un petit déjeuner fort copieux, et cela me fait un bien fou ! Yo n’est toujours pas follement motivé par cette randonnée, il s’équipe mi marin mi alpiniste ! Le ciré jaune Guy Cotten, le bonnet, les gants de chantier, les chaussures d’alpi ! Son attirail lui ressemble bien : complexe et authentique à la fois. Pour sure, si l’un de nous n’aura pas froid, c’est bien lui ! Nous sommes fin prêts pour partir rejoindre Entremont, là où débute notre périple. Après une courte pause dans une boulangerie, à laquelle je vais préférer le jeun, nous arrivons à Entremont.
La nature environnante est très verte, et nous avons la chance de profiter d’un moment sans pluie pour découvrir les alentours, de belles prairies et des montagnes abruptes nous entourent. Malgré le temps qui semble se questionner sur son envie du jour, nous partons tous les quatre d’un bon pas, le cœur à la balade ! Yo et moi restons derrière, Val et Florent quelques dizaines de mètres devant. La traversée de la forêt est sublime, je sens qu’elle est bien peuplée, je suis joyeuse d’être là, bien entourée. Yo et moi parlons, mais bien moins que nos deux têtes de course ! Yo semble comprendre mon besoin de silence en ce lieu qui me ressource. Je suis alerte de tout ce qui m’environne et la conversation avec lui, ponctuant cette marche, est en harmonie avec ce que je ressens. La pluie commence à nous chatouiller doucement, elle est fine et clairsemée, sous les arbres je la sens même assez peu. Lorsque le sentier se rétréci, Yo marche devant moi, et son rythme est parfait. Lors des premiers kilomètres et des « bavantes » j’adopte spontanément un rythme régulier, je marche au rythme de mon cœur, sans forcer, sans trop de lenteur. Lorsque nous nous arrêtons, je sens mon corps qui veut continuer, ne surtout pas arrêter, mais je ne souhaite pas casser l’énergie du groupe et attends alors mes bons compagnons de marche. Lorsque nous sortons de la forêt, le vent se fait plus insistant.
Nous arrivons devant la fameuse grotte, elle est traversante en partie, mais un de ces flan est percé d’un tunnel, menant à la fameuse « caverne de l’ours ». Je suis ébahie, complètement présente à moi-même, je me laisse porter. Une envie profonde et totalement irrésistible s’ancre en moi. Mes battons tombent de mes mains, j’avance. Il me semble que j’ai évolué avec une infinie douceur, chaque pas sondant subrepticement la roche jalonnant le sol, avant de s’y poser. Tout mon corps vibre de cette attraction vers ces entrailles. J’entends les sons qui ont traversé le temps, je sens une présence puissante. C’est elle qui régit les lieux et mènent, ou non, les âmes en son antre. Chaque mètre vers l’ombre est réalisé en conscience et respect de cette présence. Je me sens légère et dense, je sais que c’est une grâce d’être accueillie en ces lieux. Je n’ai aucune volonté, aucun objectif, je laisse mes sens et mes cellules à l’écoute de ce qui est. La noirceur se fait plus dense mais ma vue s’y adapte complètement. Je sens Florent approcher doucement. Le « sas » de la grotte prend bientôt fin, ouvrant sur la caverne. Je tends ma main vers Florent et effleure la sienne. Sa présence renforce la qualité de l’instant. Je poursuis cette marche, cette danse, avec les ombres, avec mes ombres. La grotte est surplombante, ma main s’appuie sur la roche humide pour monter à l’entrée. Mes gestes sont lents, j’en sens la nécessité, à l’écoute de ce qui m’entoure. Je suis dans la grotte, l’obscurité est intense et pourtant le lieu m’apparait clairement. Je « sens » ce lieu. Florent a un léger raclement de gorge, m’indiquant un inconfort. Je comprends, je viens de sentir la même chose, il est temps que nous retournions sur nos pas. Main dans la main, nous cheminons vers la lumière, lentement, sans échanger de mots, ils seraient de trop en cet instant.
Le vent est de plus en plus intense. Nous rejoignons Val et Yo, qui nous ont attendu à l’entrée de la grotte. Je sens le froid me saisir les mains. Je me mets alors à danser, à sautiller et à me trémousser pour ne pas le laisser s’installer. Florent observe les jeux d’ombre et de lumière créés par les ouvertures de cette immense cavité rocheuse. Avant même qu’il ne prononce un mot j’ai déjà pris la direction de l’entrée, j’aime être sa muse! Le vent est tellement intense qu’il taquine nos appuis et teste notre équilibre ! Les conversations se font à tue-tête ! Val se prête aussi à ce jeu, puis vient le tour de Yo… je pouffe de rire en voyant sa tête! Comme un enfant de 4 ans à qui l’on demande d’aller ranger sa chambre… il aurait bien envie de faire autre chose ! J’adore le regarder faire ! Il fait semblant de ne pas entendre ou comprendre ce que demande Florent pour que la torture soit la plus courte possible, et… pourtant il a une telle présence, les clichés avec lui seront de mes favoris, je le sais dès la prise de vue.
Nous sommes tous bien refroidis après cet instant de prise d’image, c’est alors avec entrain que nous reprenons le chemin. Le sentier est beau. La roche est criante de vie, tant et si bien qu’en levant les yeux, nous apercevons « Maurice » ! Nous surnommerons ainsi, l’homme au visage sans nez, dont la tristesse s’écoule de ses yeux fins… Le rire comme un baume de l’âme, nous lui offrons les nôtres.
Les nuages dansent avec la nature environnante, parfois quelques éclaircies transpercent le ciel à l’horizon. A présent, c’est un autre élément qui s’invite à la balade… je sens la pluie devenir plus dense… il neige ! Ma belle blanche, chère amie, heureuse de te revoir ! J’ai le cœur tout sourire ! La sentir se déposer sur mon visage m’émeut et m’emplie d’une douce pétillance. Le vent est toujours présent et fait virevolter les flocons, je savoure cet instant comme suspendu dans le temps, une parenthèse de pure légèreté.
Je savoure mais nous devons tout de même continuer l’ascension, car nous avons plus de la moitié de la randonnée à faire et il n’est pas loin de midi. Peu de temps après, nous arrivons sur l’arête qui nous mènera au point culminant. Florent et moi sommes attirés, comme deux enfants, par cette arête, malgré le sentier de randonnée qui redescend et chemine 50 mètres plus bas. Nous restons donc haut, et j’en suis bien aise, les chemins tracés par les habitants sauvages des lieux sont mes favoris. Ce ne sont certes pas les chemins les plus faciles, mais sans conteste les plus beaux ! Ils me ramènent, je crois, à cet instinct sauvage qui m’habite, je m’y sens pleinement chez moi.
Les chemins se recroisent et nous rejoignons Val et Yo pour les derniers pas avant le sommet. Cheminant dans cet espace de luminosité rasante, j’observe la palette de gris lumineux que nous offre le ciel. Certainement incitées par cette nature généreuse et créatrice, nous échangeons avec Val sur la notion de sororité. J’ai besoin de « sentir » un mot pour l’intégrer dans mon champ lexical, parfois sans même connaitre la définition précise, il fait déjà parti de moi, parfois il me faut du temps… presque deux ans pour celui-ci ! Et pour cause, il me faut cheminer profondément pour aller le chercher. C’est en accueillant ma part de féminité dans son absolue force et son absolue vulnérabilité, que j’ai pu ouvrir cette porte à la sororité, ce lien puissant entre femmes, venant des entrailles, qui nous mène vers la libération, un soutien indéfectible, une création collective. Val et moi, nous sommes tout de suite comprises, peu de mots échangés sur le sujet, un simple constat que nous sommes en train de créer ce qui ne nous a pas été transmis, simplement parce que nos ainées ne savaient pas.
Les garçons nous ont rejoint et nous avons continué la marche jusqu’à la croix. Une barrière dissuade d’y aller, et pour cause, de nombreux éboulements ont lieux dans la zone. Après avoir étudié la carte, mes trois compères décident de modifier le tracé de notre retour. Je les laisse décider. Je suis dans mon élément, accompagnée de belles personnes, heureuse d’être là, où que nous allions. Les nuages valsent avec les falaises, laissant poindre par intermittence des avancées rocheuses. L’une d’elle m’attire tout de suite, Florent veut alors saisir l’opportunité de photographier l’instant. Je marche vers cet endroit qui m’appelle. Je m’installe au bord, le corps proche du précipice, les nuages devant moi m’offrent un tapis moelleux qui s’évapore puis revient dans un souffle somptueux. Soudain je sens l’attraction du vide ! C’est très fort et Florent me crie « arrête d’avancer, ne bouge pas ! » à plusieurs reprises. J’écoute avec conscience. Il s’approche et me fait reculer de quelques pas, je suis alors saisie de tremblement. A cet instant j’ai peur, je réalise à quel point l’attraction était forte. Je me mets en mouvement et reprends la marche rapidement afin de laisser passer cette sensation, je reprends pleinement pied sur le sentier, pleinement pied en mon corps. Attirée par le vide, peut-être est-ce cela que je chemine, faire le vide pour retrouver qui je suis dans les profondeurs de mon âme.
La végétation se redensifie autour de nous pour mon plus grand plaisir, les arbres sont de fabuleux guides à l’ancrage. Les estomacs criant leurs dus, nous cherchons un endroit un peu abrité du vent pour soulager la faim. La mousse présente dans cette forêt nous offre sa générosité, sa douceur. Je me sens bien à côté d’un gros rocher qui en est revêtu, au pied de deux arbres, les trois formant un demi arc de cercle, comme une main accueillante. Val, Yo et Florent s’installent pour déjeuner à quelques mètres de là, pour ma part je profite de cet écrin pour me ressourcer et me réancrer profondément. Bien que la pluie se soit arrêtée, le vent et l’humidité environnante nous invitent au mouvement pour ne pas trop refroidir nos corps, nous reprenons alors le chemin du retour. Je sens comme à la montée, la densité chaleureuse de cette forêt, je me sens accueillie. Florent et Val à nouveau devant, nous prenons le temps avec Yo d’observer les champignons fleurissants dans les recoins. Les somptueux arbres semblent tous posséder un caractère propre. Leurs écorces nous offrent l’art de la fresque naturelle, à leurs pieds amanites tue-mouches recouvrant les doux tapis de mousse, le spectacle invite l’observateur au rêve…
Val m’a prévenu d’un passage un peu plus engagé et équipé. Nous y arrivons, la roche est grise claire, et légèrement râpeuse, son contact ravie ma main ! Je ne perds pas une seconde de cette courte descente qui me permettra d’être au contact de cette roche puissante. Je tente, tant que faire se peut, de descendre avec le soutien qu’elle m’offre et non celui des équipements. La plus part ne sont pas nécessaires, mais la roche semble assez fragile, j’assure donc chacun de mes mouvements avant de m’engager complètement. Le passage est trop rapide, j’aurai aimé y laisser courir mes mains plus longtemps… C’est ainsi. Ce passage se termine, offrant une vue panoramique sur un très beau haut plateau, que nous allons longer, avant de reprendre le chemin clôturant la marche du jour. La fin de la randonnée est un grand chemin au cœur des arbres. Je réalise en cet instant… la grotte… ainsi je rencontre mon ombre et l’apprivoise pas à pas. Faire ce pas vers elle, quel périple en soit ! Je la considérais avec force comme une boite de pandore, il n’en est rien,. Il s’agit juste de moi, dans mon humanité la plus profonde. Les cœurs allégés par l’air pur et vivifiant, quelle qu’a été la manière de vivre cette escapade pour chacun, nous nous retrouvons tous les quatre avec la joie de ceux qui ont marché leur chemin, en bonne compagnie. Les éléments auront, eux aussi, été de précieux compagnons : Le temps nous aura tant et si bien offert l’ampleur de son savoir-faire que Valentine nommera notre randonnée du jour : la balade 4 saisons !
Partie 4 et dernière – Les lacs de Freissinières
Je prends l’avion demain matin pour aller en Bretagne rejoindre maman quelques jours. Ce dernier jour avant l’envolée, je le sens couler fort dans mes veines bien avant le lever du soleil. Je patiente tout de même dans le lit car la nuit fut bien courte, nous nous sommes à nouveau couchés tard avec Antoine. A 6h je ne tiens plus, je sens comme une urgence à me mettre en mouvement. Antoine se lève pour ouvrir aux poules à 7h, je tente de prendre mon temps et de patienter jusqu’alors, en vain ! Mes jambes frétillent du chemin à parcourir ce jour, je saute dans ma voiture pour rejoindre les lacs. Ce jour est très lumineux. Les feuilles jaunes des peupliers volent dans le vent. En passant devant eux, le vent souffle soudain. Mon véhicule traverse cette pluie d’or et douce qui s’amoncèle délicatement au sol. Je me sens baignée par ce mouvement. A la sortie de Briançon, je prends un passant en stop, c’est un réflexe que j’ai depuis que je conduis. Je ne laisse personne qui demande à être accompagné, sur le bord de la route. Je n’ai pas envie de parler, mais lui si, c’est parfait, il me raconte. A l’Argentière où je devais acheter à manger pour le midi, je n’arrive pas à m’arrêter tellement je sens cette urgence de marcher en moi. Je dépose le stoppeur, et file au parking de Dormillouse. Aller là-haut, vite, j’en ai besoin. Ce sentiment d’urgence ne me déplait pas, au contraire, il m’anime au plus profond de moi, j’y réponds avec enthousiasme ! Cette route tant de fois parcourue dans la vallée de Freissinières est gelée, j’y roule bien trop vite, mais mon acolyte roulante me pardonne tous mes écarts et me mène à bon port. Les arbres sont blancs de gel, cette vallée à cette particularité du froid intense et il n’est pas rare que tout y soit givré. Ce n’est pas pour rien que la réputation des cascades de glace locales, va bien au-delà des frontières. Mon auto garée, je file sans attendre, rejoindre le sentier de randonnée. Je n’ai pas d’objectif précis, si ce n’est d’aller au Fangeas. Comme toujours quand je marche, j’ai dessiné les grandes lignes, mais j’adapte au fil de mon envie. La lumière s’annonce sur la montagne au-dessus de Dormillouse, en ces temps, je ne devrais pas voir le soleil avant le premier lac. En ce début d’ascension à l’ombre, je me sens étrangement mélancolique, mon mental est bien plus présent que je ne l’imaginais, étant donné l’enthousiasme que je ressentais. Je suis triste de ces quelques pensées tournant autour d’elles-mêmes… rien n’est jamais acquis en deux jours, et quand bien même cela le serait, rien ne protège des réminiscences ! J’avance, pas à pas. J’accepte qu’elles soient là, c’est ainsi que je marche aujourd’hui. Je rejoins le torrent, et sans même en poser l’intention, me voilà tout à fait à l’écoute du son qu’il émet. Alerte de la faune environnante, voilà mes sens revenus, je suis tout à fait ici. Être en lien avec la nature me ramène immanquablement à mon essence. Qui plus est, en altitude et en bonne compagnie ! Gramusat, ma belle, je sens ta présence. Ah oui, il faut que je vous raconte Gramusat. Depuis le début. J’avais, depuis toute petite, une peur panique des grottes, et les montagnes trop minérales n’étaient pas mes favorites… loin de là ! Lors d’un voyage en Nouvelle Zélande il y a 7 ans, j’ai même préféré une sieste profonde plutôt que de profiter des paysages où a été capté le « Mordor » du Seigneur des Anneaux. Ainsi était mon lien avec ces proéminences rocheuses. Mais il y a 5 ans, j’ai rencontré Gramusat. Je l’ai tout de suite appelée « ma belle ». Immensité minérale, avec une face abrupte, elle dégageait une force qui m’a immédiatement conquise. J’en étais presque surprise, non seulement elle ne m’effrayait pas, mais de surcroit, je me sentais protégée à ses côtés. Je suis allée la voir à de nombreuses reprises depuis, et pas une seule fois elle ne m’a laissée indifférente. J’ai toujours eu ce sentiment d’accueil et de protection. Et l’anecdote que j’aime à conter, est qu’en passant une nuit au gite de l’Ecole à Dormillouse, Serge, l’enfant du pays devenu incontournable, m’appris la signification de Gramusat en patois local : « La mère protectrice » ! Et bien visiblement, je ne suis pas la seule à avoir sentie cette force en elle!
Je chemine donc ce jour à ces côtés, et la mélancolie du début a laissé place à la légèreté. Les mélèzes se clairsement. L’eau coule en abondance dans le torrent et à même le sentier. J’arrive alors au lac. S’ouvre à moi la vue de ce lac aux abords légèrement blanchi, au pied de Gramusat, les sommets environnants somptueusement enneigés, baignés de la lumière du soleil… c’est immense…c’est SUBLIME, je ne m’attendais à rien et tout à coup je suis saisie devant cette infinie beauté ! Ce qui se passe en moi en d’une intensité infinie! Je suis totalement submergée ! Je rie, mais les larmes s’invitent aussi, c’est si beau, si fort, un instant je ne sais plus si c’est doux ou douloureux, la frontière est mince… Je marche autour de ce sublime lac. Mon cœur s’ouvre, je respire, c’est si intense ! Je ne contrôle rien et me laisse pleinement gouter cet instant. Je pleure, mais c’est, il me semble, des larmes guérisseuses! Je sens une infinie douceur prendre place en ma chair, c’est si bon. J’effleure mon visage baigné de mes larmes, avec une délicatesse que je ne me connaissais pas. Je ressens avec une infinie précision, mes sens sont décuplés. Je SENS la montagne, le minéral qui veille, la neige, l’eau, les quelques arbres environnants. Je vis cet instant comme un cadeau de la Vie. Merci merci ! Allant à la rencontre de chaque parcelle de moi-même, de mon histoire, de mon présent, certains moments sont douloureux, je me laisse alors pleinement nourrir de cet instant précieux, comme buvant à la source d’eau fraiche en plein désert. Cette expérience laisse infuser en moi comme un sentiment de retrouvaille. Avec mon essence profonde ?
Après un temps qui ne signifie plus rien, je reprends le chemin, sans sortir de cet état d’allégresse, je chemine ainsi au travers de petites forêts de mélèzes bondées de neige, puis je traverse le territoire de nombreux habitants sauvages. Je reconnais les traces de Dame hermine, du renard, du chamois et du lapin. D’autres traces ne me sont pas reconnaissables. Je me sens observée et entourée, je suis heureuse. Je savoure chaque pas fait, et laisse infuser l’expérience vécue. Je suis même joyeuse, et je m’amuse à deviner qui est passé et quand en ce lieu, et quels sont les relations entre riverains ! Je joue des scènes saugrenues dans mon imaginaire et je rie toute seule ! Après un petit passage rocheux, je ne devine plus de sentier. Je regarde la carte, je m’en suis à priori éloignée, qu’importe, le cap me suffit. Direction de lac de Faravel. A cette pensée, je me remémore la conversation de l’avant-veille avec Céline, une copine de primaire, qui a bourlingué de par le monde. Elle a créé un blog : « Les Rebelles en Slip » où elle pose avec sa compagne dans les plus beaux lieux… en Slip ! Cela me donne une idée…. Mon enfant intérieur jubile !! Je rie à en pleurer (encore !) J’avance avec légèreté et joie vers ce lac, à un rythme bien trop enjoué pour assurer chaque pas… ce qui devait arriver… je suis tombée ! Rien d’engagé, donc une chute assez anodine, si ce n’est que mon sein droit a tapé dans une roche, la douleur est intense et seule la neige l’apaisera. Le t-shirt soulevé…Je me sens observée… très observée ! Je ne suis peut-être pas seule… mince ! Je lève les yeux… une quinzaine de chamois m’observent ! Je rie à nouveau ! Je les imagines en train de juger ma non agilité d’humaine sur les roches enneigées ! « Ce n’est pourtant pas bien compliqué ! » Tous remontent sur l’arrête dominante, je reprends le chemin non sans faire de très nombreuses pauses pour les admirer. Pendant toute mon ascension, six resteront à m’observer. Soit je suis l’attraction de l’année après cette chute et ils ont la moquerie longue, soit (plus plausible même si moins drôle) ils s’assurent que je ne représente pas une menace et préfèrent me garder à l’œil.
Je n’ai encore croisé personne depuis 4h que je marche. La neige étant bien abondante, je pense qu’il en sera ainsi toute la journée. C’était sans compter sur le fait que ces dernières années, cette randonnée est devenue très populaire, et que le goût de la liberté des grands espaces chemine chez beaucoup d’entre nous ! Juste en arrivant au lac, je croise un jeune homme, avec jumelles et appareil photo, nous échangeons quelques mots bien agréables. Nous sentons la joie commune d’être en ce lieu spécial. Il est équipé de raquette, je l’en remercie, il m’aura ainsi damé le chemin pour la suite, qui devrait s’annoncer bien plus enneigée. Nous repartons dans nos directions respectives non sans se souhaiter tout le meilleur pour la suite. Une fraction de seconde, l’idée m’a traversé l’esprit de lui demander de prendre la photo… mais très vite, elle fut remplacé par une autre fraction de seconde qui y opposa une fin de non-recevoir… vu la photo ! Je savoure la beauté de ce lac glacé, et m’amuse à tester la glace au niveau de la partie la moins profonde, elle tient bien ! M’assurant que le randonneur est suffisamment loin, je teste mon appareil photo en mode « retardement ». Cela fonctionne, je le place alors sur un support de neige. Je me mets alors en pantalon, pour prendre la photo… et puis…. Ben non ! Il me faut assumer jusqu’au bout ! Je me mets alors en slip (merci merci Céline pour l’idée bien folle !) Vite vite ! Je déclenche l’appareil et cours me mettre en place… soudain j’entends des éboulements de roche ! Je saute sur ma polaire et le mets devant ma poitrine en me recroquevillant ! Je cherche des yeux le randonneur… il est fort poilu ! Il s’agit en fait de deux chamois qui sont passés tranquillement derrière moi… décidemment ils aiment me jouer des tours aujourd’hui ! « Celle-ci qui tombe sur des cailloux et qui ensuite se met en slip… non définitivement, nous ne craignons rien d’une telle humaine ! » Je pouffe de rire et reprends rapidement le cours de la photo. Quelques secondes après, c’est dans la boite ! Oh ce vent de liberté… être (presque) dans le plus simple appareil dans cette luxuriante nature est un cadeau! Mais frais le cadeau! Je me rhabille très rapidement, les degrés se font rares ! Evidemment c’est au moment où je remets mon sac à dos qu’un traileur arrive à son tour ! Mais quelle chance ! J’ai vraiment saisi le petit créneau juste pour moi ! J’étais plutôt enclin à tailler la bavette, mais performance oblige, le traileur passe vite son chemin, même pas eu le temps de lui indiquer les chamois à droite en contrebas !
Je monte vers un collu, où il y a quelques années, accompagnée de mon grand frère Gaël, j’ai trouvé ma première Edelweiss. Cette fleur est indissociable de ma mémé, une grande icone pour moi. C’était un jour où toute ma famille avait fait cette belle randonnée des lacs. Tous ensembles, de mon petit neveu à maman, nous étions réunis. En trouvant cette Edelweiss, j’ai senti sa présence, elle aussi marchait avec nous. Ce souvenir éveille en moi un sentiment apaisant. Je ne peux peut-être pas bénéficier de la chaleur humaine de mes proches en ces temps, mais je sens tout de même leur présence à mes côtés. Une centaine de mètres plus loin, je croise une famille ! La clin d’œil me fait sourire. Nous échangeons avec bonne humeur et entrain, je leur indique la présence des chamois, ils sont ravis. Ces petites pauses avec les randonneurs me sont fort agréables. Avant d’arriver au lac de Palluel, je prends le temps d’admirer le champs de cairns recouverts de neige. Je trouve très poétique cette plateforme amoncelée qui ouvre sur l’immensité. Je ne sais qui eut l’idée d’y mettre ces petits édifices de montagne, mais il fut bien inspiré. Deux autres randonneurs arrivent alors. A nouveau, nous parlons quelques instants. Je commence à comprendre ce qui se passe. Nous sentons tous que les grands espaces ne nous serons peut-être plus accessibles pendant un temps, et qu’il en sera peut-être ainsi aussi pour l’Autre. Cela génère une chaleur humaine et une complicité très belle entre nous, et les nombreux autres randonneurs que je vais croiser vont me laisser cette même impression. Cette énergie, ce partage, cette liberté humaine me transporte.
Je prends le temps d’une courte pause pour observer mon Grand Pinier au-dessus du lac de Palluel, mon bien joli, ce n’est pas pour cette fois, mais un jour peut-être je foulerai l’arrête menant à ton point culminant ! Ce qui m’entraine vers un sommet est de cheminer l’ascension en conscience de chaque pas réalisé, et d’y découvrir la vue là-haut. Chaque découverte de paysage est une rencontre dont je me délecte. Mais j’ai bien senti ce jour que les sommets ne sont pas toujours de l’importance qu’on leur exige, se sont parfois les étapes intermédiaires qui posent les jalons de nos structures intérieures. Je laisse ce nouveau ressenti faire son chemin en moi.
J’amorce la descente, que je vais faire en glissant et trottinant dans cette poudreuse bien moelleuse ! Je pense à tous mes amis skieurs qui s’en donneraient à cœur joie de dessiner de belles courbes sur cette page blanche. Je croise encore quelques randonneurs qui ascensionnent le sourire aux lèvres, les échanges sont toujours aussi joyeux. J’atteins à nouveau les mélèzes, où je vais échangé avec le dernier randonneur avant Dormillouse. Il s’agit d’un tout jeune homme, fort charpenté, et bien harnaché. Je vois un matelas et une tente ficelés à son sac et lui demande s’il compte bivouaquer. En effet ! Le bien heureux va poser son bivouac pour capter de belles images. Je lui indique sur la carte ce qui me semble être le meilleur spot, et lui souhaite tout le bonheur d’une nuit au cœur de la neige, bercé par les montagnes. Cela me ravie de l’avoir croisé. Je continue ma descente, et admire le village de Dormillouse, dernière zone de repli pour les oppressés, où première étape de la liberté ? Je pense à ces femmes et hommes qui ont vécus ici une vie rude, à ceux qui ont simplement fait le choix par amour d’y poser leurs valises. Cela peut paraitre fou et pourtant, ce qui est fou et impensable pour les uns, est juste pour les autres. Je repense à ce jeune homme. Les seules limites que nous avons sont celles que nous nous imposons. Il était visiblement néophyte du bivouac, et ne connaissais pas cette randonnée. Et alors ? Quel risque prend t-il à suivre l’appel de son cœur ? Lui, et ceux qui ont décidé d’habiter Dormillouse… la liberté qu’ils s’offrent est grande et SOUVERAINE. Je comprends alors que quelque chose de nouveau prend place en moi : à nous observer, êtres en quête de liberté dans ces immensités de rocs et de neige, je m’éveille à ma liberté intérieure. J’y ai gouté. Je crois que quoiqu’il arrive à l’extérieur, je sais la retrouver. Je connais maintenant sa saveur, je connais le chemin, rien ne m’enlèvera ce goût. Cette reconnaissance de ma liberté intérieure, sonne t’elle la fin de mon errance ? Mon errance n’était peut-être pas celle faite de pierre et de bois, peut-être était-ce simplement moi-même que je cherchais. Chemin faisant dans ses immensités montagneuses, je me suis retrouvée.
Partie 3 – Croix de la Salcette
Au matin, je file vite au lever du jour vers dame nature, je n’ai envie de rien d’autre que d’être seule avec elle. Le soleil n’est pas encore là, et je me délecte de ces premiers instants au calme de l’aube. Je ne suis pas bien réveillée. Tout comme le soleil, j’aime ce sentiment d’être en phase avec lui. Je commence l’ascension qui s’ouvre sur la vallée de l’Argentière. Je ne suis pas férue des vues plongeantes sur la cité, j’y préfère de loin la nature simple. J’entends les coups de feux des chasseurs. Le cumul des deux me fait un instant regretter, j’aurai du me lever bien plus tôt et aller faire la boucle des lacs de Freissinières et son point culminant le Grand Pinier. J’aurai été dans un environnement connu, à l’abri des chasseurs dans le Parc National des Ecrins. Ah jolie sécurité… je lâche et je reviens au moment présent, je foule cette terre et la remercie pleinement de m’accueillir. Je sillonne entre mélèze et gelé recouvrant le sol, les herbes craquellent sous mes pas. Je sens la luminosité grandir, et arrivant sur un petit dôme, une étincelle croise mon regard, le soleil se lève derrière la montagne. Je prends le temps d’accueillir sa lumière en moi, la scène est sublime. Sur cet espace aux formes arrondies, l’herbe gelée est scintillante et les mélèzes jaunes captent et rejaillissent la lumière naissante, merci dame nature. Après quelques étirements signant définitivement mon éveille à cette journée, je reprends le chemin. Je suis toujours entourée de mélèzes et un peu en prise avec mon mental quand soudain un écureuil file devant moi ! De sa longue queue rousse foncée, il m’extirpe de ces pensées sans lendemain et m’amène à voir que la crête est juste à côté du sentier. Je m’y engage immédiatement, la petite présence rousse saute alors au-dessus de moi d’arbre en arbre. Je le remercie infiniment de s’être montré au bon moment. Ayant atteint la crête, je vois enfin le Pelvoux, ce sommet m’apaise. J’y vois un immense trône, me poussant à me saisir de mon sceptre et à m’aligner. Je joue avec les mélèzes pour me frayer un chemin, ce n’est pas aisé, mais être hors des sentiers et aller vers cet espace de jeu m’est immensément ressourçant. Je vois alors le village des Vigneaux, très plaisant vu d’en haut, il faudra que j’aille à sa rencontre. J’arrive ensuite sur une crête bien plus minérale, la roche est claire, et parfois d’un rouge soutenu, le gaz est bien présent, tout ce que j’aime. Je tâche de ne pas la quitter, mais la pluie des derniers jours à bien raviné, et le bord du précipice est parfois un peu trop instable à mon goût. Je fais parfois quelques écarts pour éviter cela. Le vent se lève. J’accueille cette fraicheur sur mon visage et ferme les yeux quelques instants. J’entends alors des bruits de pierres qui roulent (et n’amassent pas mousse… avouez que vous aussi c’est venu !). Dans ce joli cadre minéral et abrupte, je sais qui roule les cailloux de leurs pattes habiles… les chamois ! Je me penche pour observer et j’en vois immédiatement un en bas de la falaise. Mais le son m’indique une présence plus proche, j’attends patiemment, mais il est certain que je suis repérée depuis fort longtemps, je n’aurai pas le loisir de le voir. Qu’importe, je sens leur présence à mes côtés et m’en réjouie ! Je poursuis ma route des crêtes, et regarde très régulièrement le Pelvoux… il m’accompagne sur mon chemin. J’arrive à proximité de la croix de la Salcette, la crête des Lanciers, le Pic de l’Aigle et la Tête d’Amont m’attirent plus que de raison ! Je vais jusqu’à la croix, continue mon avancée mais mon cœur n’y est pas, il est dans ces proéminences rocheuses ! Il me faut pourtant renoncer, je suis seule sans aucun équipement et je ne trouve aucun topo sur une éventuelle traversée, c’est très probablement non franchissable. Je me dois d’être ferme avec moi-même pour ne pas m’y engager. Je profite néanmoins de cette somptueuse présence dont je m’approche avant de faire rebrousser chemin. Un « rognon » a proximité me donnera le change. Il est évidemment hors sentier et me permet à nouveau de filer une petite crête, je prends le temps de la pause, cachée dans un recoin, au calme du vent et bercée par le soleil.
Me sentant à nouveau en forme, je descends vers là où on cœur me dit d’aller, je ne sais aucunement si c’est franchissable ou non, je dois parfois un peu désescalader pour atteindre un palier plus bas, je me sens très animale en prenant ce chemin. Je suis mon instinct qui se délecte de la route prise. Je descends un joli pierrier avant de rejoindre une forêt de mélèze. Quelle rencontre ! Elle est simplement divine! La lumière chaude du soleil y scintille, j’ai ce sentiment profond d’être à la maison. J’effleure de mes fines mains les arbres, leurs douces épines viennent alors s’amonceler sur le sol, offrant une couverture moelleuse à la terre, et un doux matelas à mon enveloppe charnelle. Je m’y plonge, corps et âme, je laisse ici ce dont je n’ai plus besoin. Le soleil perce au travers des branchages et se pose sur mon visage, il me régénère de sa puissance. Le temps n’existe plus, je suis au bon endroit, je sais qui je suis. Je me relève, observe avec un nouveau regard ce qui m’entoure, mais quelle chance de se savoir chez soit quelque part ! Est-ce ici la fin de l’errance ? Non, je sais que cette sirène de la vie solitaire en pleine nature n’a pas de sens profond pour moi. Mon chemin de vie est clairement fait d’échanges et de partages, se sont eux qui me permettent d’avancer vers moi-même et m’ouvrir pleinement aux autres. La nature clémente me permet de me ressourcer et de faire le point sur les expériences vécues que j’absorbe intensément sans souvent savoir qu’en faire. Mon hypersensibilité me permet de vivre pleinement chaque seconde, mais il me faut des temps de pause et d’intégration que m’offrent ces écrins précieux. Je reprends le chemin de la descente non sans avoir remercié, maintes fois. En arrivant au village du Bouchier, je reste béate devant les maisonnettes anciennes, le village semble hors du temps. La piste y menant montre la rudesse du lieu. Les roses flamboyantes qui ont élu domicile en ce lieu, offrent en cette fin octobre, à qui sait le reconnaitre, que la rudesse apparente est parfois emplie de trésors.
Je marche jusqu’au refuge où j’hésite à rentrer pour ne pas déranger, mais l’envie est trop forte ! J’ai sentie hier soir que Bernard et Laurence étaient deux belles âmes dont j’aurai aimé faire plus ample connaissance. Je veux aussi les remercier pour leur accueil qui n’a rien d’anodin pour moi en cette période de ma vie. Ils en sont au café et m’invitent avec une infinie gentillesse et simplicité à boire une tisane. Nous partageons ce que nous vivons, avons vécu. Nous abordons ces passages de vie qui nous poussent à quitter le confort d’une vie établie et sécurisante, pour aller vers ce qui nous fait vibrer au fond de nos trippes. Ils ont, eux aussi, tout quitté pour mener l’aventure dans ce refuge. Nous parlons de la difficulté de lâcher ne serait-ce qu’une journée le lien avec les réservations, de crainte de perdre de la clientèle. C’est phagocytant et exigeant de ne pas s’octroyer de temps de répits, d’autant plus dans ce mode de fonctionnement saisonnier. Durant 60 jours non-stop, ils se mettent à l’entière disposition de leurs hôtes 18h par jour. Cela me rappelle à nouveau le lien avec la sécurité. En effet, c’est bien de cela dont il s’agit, vais-je prendre le risque de faire une pause, sachant que je pourrais alors manquer certaines réservations ? Ou vais-je me donner de l’espace pour me retrouver après m’être tant offert ? Le manque à gagner va chercher loin dans nos entrailles… le manque tout court. Ces deux êtres sont d’une conscience aigüe et j’aime ce moment d’échange. L’idée m’effleure de rester une nuit de plus pour être avec eux plus longtemps, mais je n’ai pas envie de me retrouver dans un espace où je ne choisie pas mes semblables autour de moi. Malgré le beau chemin parcouru hier et aujourd’hui, je me sens vulnérable et j’ai besoin d’être entourée d’amis. Lucile et Antoine acceptent de m’accueillir à nouveau, je ne saurai les en remercier suffisamment, je ne sais pas s’ils ont conscience de l’immense cadeau qu’ils me font. J’arrive chez eux le soir, il fait déjà nuit et voyant le visage de Lucile illuminé de son sourire, je suis fort heureuse d’avoir pris cette décision de retourner chez eux. La soirée est abondante, nous parlons beaucoup et rions énormément, ces deux-là se sont bien trouvés, leur duo est très juste et touchant. Nous nous couchons fort tard, même en aillant grapiller 1h suite au changement d’heure. La nuit est plus troublée, le doute m’assaille. Je sens que je dois vivre ce passage parfois douloureux pour m’ouvrir pleinement à moi-même. Mais au cœur de la nuit, les difficultés me paraissent parfois insurmontables. Au petit matin, j’ouvre les volets, dehors il pleut dru. Les couleurs automnales mettent du baume au cœur, une petite demi-heure ensuite, la neige commence à tomber… quelle douceur… elle ne tient pas au sol aux abords de la maison, mais à quelques dizaines de mètres au-dessus dans la forêt se dessine une belle ligne. Lucile part une semaine avec une amie, avant de partir elle me propose avec une infinie gentillesse de rester chez eux. Ils savent que les instants que je traverse ne sont pas nécessairement faciles, et la tristesse me submergeant parfois, Lucile me prend alors dans ses bras fins et puissants, je m’y sens vraiment bien, petite fée sur mon chemin, merci merci.
Partie 2 – Lac de Laychauda
Après cette nuit entrecoupée d’écriture, je me lève difficilement, mais je dois rendre la location à 10h, je m’active donc. Je vais rejoindre Lionel, un être cher que je n’ai pas vu depuis longtemps. Juste un aperçu de quelques minutes mais j’en suis déjà bien heureuse. Faisant la route vers Vallouise, je refais le point sur ce que je suis en train de vivre. Ces derniers soirs, j’ai senti cette forme d’angoisse que j’identifie comme liée au contrôle. Alors mon petit, on avance comment toi et moi ? La route est sublime, le soleil revient après quelques jours de pluie et les couleurs sont chatoyantes, je passe dans des lieux que je connais bien, et cela me fait du bien. Je roule au sein de chaque hameau en essayant de savoir si je me sentirais bien d’y vivre. En arrivant à l’Argentière, je passe à la Gousse d’Ail, un magasin bio que j’aime. J’y aime particulièrement la douce dame qui vend les produits, sa lenteur me fait du bien, et son sourire léger et franc m’apaise. Courses pour le midi faites, je poursuis mon chemin jusqu’à Vallouise où j’ai rendez-vous en fin de matinée avec Lio. Je l’attends au soleil et lorsqu’il arrive avec sa compagne Anne, je suis envahie d’un intense sentiment de joie et d’apaisement. Quel bonheur de revoir Lionel et d’enfin rencontrer l’être cher qui lui anime le cœur. Et je comprends instantanément pourquoi! Je suis heureuse pour ces deux belles âmes. Peu de temps, l’essentiel échangé, je repars le cœur gonflé de la lumière qu’il m’a toujours transmise. Il est des êtres dont la simple présence illumine votre chemin. Et très joli clin d’œil de la vie, j’apprends que le village dans lequel je cherche une location est celui où il rénove depuis peu son prochain nid douillet !
Pour cette journée, j’avais prévu d’aller à la rencontre d’autres habitats potentiels. Il me faut patienter une petite heure pour l’ouverture des agences, mais arrivée à la voiture… c’est le lac d’Eychauda qui m’appelle, j’ai trop besoin de marcher, d’être seule, d’altitude. Ainsi je saute dans ma voiture et file dans le vallon de Chambran. Je m’extasie des couleurs que me présente dame nature. Des tons vifs et lumineux, cela me traverse complètement. Une fois garée au parking de Chambran, je commence l’ascension entourée de sublimes mélèzes dorés. Je réalise alors que je n’ai pas envie de chercher où je vais dormir ce soir, je voulais aller dans une cabane de berger, mais je ne connais pas assez ce coin-là. Profitant d’un accès au réseau, je choisi de me faciliter la vie, et ainsi réserve pour une nuit au refuge du Pas du Loup. Je me sens parfaitement apaisée, certainement parce que j’ai sécurisé ma nuit, je sais où je vais dormir. Allant sur le chemin montagneux et intérieur, faire le point m’est plus facile, tout m’est plus évident lorsque je suis là-haut. Le cœur est confiant de ce que la vie m’offre. J’avance d’un pas rythmé, régulier, et le silence se fait en moi. Je sens qu’une évolution importante fait son chemin. Oui je cherche un lieu pour être chez moi. Mais je sens surtout qu’il s’agit de ce fameux contrôle et de son pendant : la liberté. Chaque pas est l’occasion d’ancrer en moi la fin d’un cycle, le début d’une nouvelle période de ma vie. Ainsi je sens que la liberté que je clamais haut et fort était fort empêtrée de diverses peurs la limitant fortement. J’ai toujours des peurs, mais je n’en laisse aucune sur le bas chemin. Je ne suis qu’au premier pas, la route sera probablement longue pour y parvenir, mais je franchi ce pas du jour avec une grande joie. Je m’engage à marcher sur mon chemin de liberté, je suis loin d’être infaillible, je sais que les erreurs seront là, c’est aussi cela qui fait que les certitudes ne sont pas le socle de ma vie, je tente alors d’accepter ces erreurs et les réminiscences… Je suis joyeuse de ce pas de plus vers moi-même. Cette ascension est très calme, je croise quelques personnes qui redescendent, peu de monde. A une centaine de mètre du lac, je croise un couple avec un tout petit bébé. A 2500m, ce petit gars s’est choisi de très bons parents ! Je continue jusqu’au lac, la neige est très présente et c’est assez surprenant car elle s’invite sans s’annoncer ! Le soleil est déjà bien bas, je prends le temps de quelques clichés et de fouler la neige, je m’enfonce drôlement à certains endroits ! J’observe les premiers glaciers qui se forment sur le lac, les éléments se mélangent, plusieurs saisons en une, l’automne jusqu’à 2000m, laissant place à l’hiver au-dessus.
Dans cet écrin fabuleux, je m’installe un moment pour aller chercher en moi ce que signifie ce « contrôle » dans ma vie. Je me remémore certaines situations où j’ai voulu le mettre en place pour être rassurée, pour ne pas aller dans une zone d’inconfort. J’imagine ensuite cette situation si j’avais lâché cette prise. Ce faisant, je sens cet inconfort qui s’installe en moi, et solennellement je me prends par la main et m’offre une parcelle de liberté. Et si tu allais vers l’inconnu, et si tu apaisais cette inconfort en lui-même plutôt qu’imposer ton contrôle à la situation ? Je prends l’exemple de mon habitat, et si je faisais complètement le vide extérieur et que j’étais seule avec moi-même, quel endroit m’attirerait…. L’exercice n’est pas facile, il me faut aller chercher mon équilibre profond, ne prendre aucun autre paramètre en compte que moi-même…. Mais je sens l’immensité vibrante de la roche ancrer cet accès à mes profondeurs. Vais-je m’autoriser à faire mes choix structurants en fonction de ce qui me fait profondément vibrer ? Je me sens divinement complète, rien ne manque, j’atteins un calme qui me permets de voir clair dans ma trajectoire. Je m’engage à nouveau à cheminer chaque jour sur ce chemin vers ma liberté intérieure. J’ai entamé la redescente du lac pendant l’exercice, le mouvement le facilitant. Je croise alors une jolie présence toute de blanc vêtue. Dame Hermine a dans sa gueule son repas, elle trottine tranquillement devant moi. Je ne suis pourtant pas discrète du tout, puisque je descends en course légère. Elle finit par se retourner et m’observe un instant avant de continuer son chemin jusqu’à un monticule de roches. Je m’assoie, surprise et subjuguée par son apparition, c’est la première fois que je vois une hermine blanche. Elle rentre et ressort du monticule, elle me regarde, intriguée, presque curieuse. Elle est vraiment très belle, son pelage est tout de même un peu surprenant, elle est blanche mais sa queue… est légèrement verte ! Un reliquat d’une course folle dans les herbes ? Je m’approche un peu plus, elle part de cacher dans cet écrin rocheux. Tu as raison ma belle, préserve ton sauvage, de cela j’intègre l’enseignement. Ce n’est pas anodin pour moi de la croiser. La symbolique de l’hermine me saute aux yeux, la pureté, la sincérité du blanc, et sa capacité au changement, l’hermine s’adapte jusqu’au bout des poils aux saisons.
Le soir venant, je me rends au refuge du Pas du Loup dans la vallée voisine, j’arrive dans un lieu bien plus grand que ce que j’imaginais et surtout… accessible en voiture ! J’entre rapidement car il me semble être en retard pour le diner, que les convives ont déjà entamé. Mais il n’en est rien, la diner a commencé plus tôt pour laisser place à une animation astronomique avant le couvre-feu. Bernard et Laurence sont très accueillants et leur présence est bienveillante. Ils me proposent de me mettre tout de suite à table si je le souhaite, c’est avec plaisir que j’accepte, la petite part de tarte du midi est déjà bien loin. Distances à respecter dans le contexte actuel, ce n’est pas pour mon déplaisir, je n’ai pas une immense envie de parler. Je déguste une délicieuse tartiflette végé, une dame est assise non loi de moi et je sens son regard posé sur moi de temps à autre, une délicate tentative de conversation. J’accepte et nous commençons à discuter tranquillement, quand deux autres personnes arrivent et la discussion tourne alors autour du sujet d’actualité qui génère maintes angoisses. J’écoute d’une oreille polie quelques minutes et file dans ma bulle. Je potasse ma randonnée du lendemain, et me délecte déjà de poser les mots de ma vie. Ne pas le faire me donne un immense mal de tête. A l’évocation de l’hésitation quant au partage de ces écrits, le beau-papa de Lucile s’est insurgé ! Toute création doit être partagé selon lui. Encore une fois ces propos infusent en moi. Après une douche imprévue, (les meilleures !) je reviens dans la salle commune pour écrire. Ne pas le faire avant de me coucher me vaut parfois des réveils nocturnes m’y invitant ! Me voyant tapoter dans mon coin, Bernard me demande à la volée « tu écris un livre ? » « oui » !! C’est sorti tout seul ! Je ris intérieurement de cette réponse si spontanée ! Nous parlons quelques instant avec Laurence et Bernard, avant de rejoindre les bras de Morphée.
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