Fin de l’errance – partie 3

Partie 3 – Croix de la Salcette

Ayant atteint la crête, je vois enfin le Pelvoux, ce sommet m’apaise. J’y vois un immense trône, me poussant à me saisir de mon sceptre et à m’aligner.

Au matin, je file vite au lever du jour vers dame nature, je n’ai envie de rien d’autre que d’être seule avec elle. Le soleil n’est pas encore là, et je me délecte de ces premiers instants au calme de l’aube. Je ne suis pas bien réveillée. Tout comme le soleil, j’aime ce sentiment d’être en phase avec lui. Je commence l’ascension qui s’ouvre sur la vallée de l’Argentière. Je ne suis pas férue des vues plongeantes sur la cité, j’y préfère de loin la nature simple. J’entends les coups de feux des chasseurs. Le cumul des deux me fait un instant regretter, j’aurai du me lever bien plus tôt et aller faire la boucle des lacs de Freissinières et son point culminant le Grand Pinier. J’aurai été dans un environnement connu, à l’abri des chasseurs dans le Parc National des Ecrins. Ah jolie sécurité… je lâche et je reviens au moment présent, je foule cette terre et la remercie pleinement de m’accueillir. Je sillonne entre mélèze et gelé recouvrant le sol, les herbes craquellent sous mes pas. Je sens la luminosité grandir, et arrivant sur un petit dôme, une étincelle croise mon regard, le soleil se lève derrière la montagne. Je prends le temps d’accueillir sa lumière en moi, la scène est sublime. Sur cet espace aux formes arrondies, l’herbe gelée est scintillante et les mélèzes jaunes captent et rejaillissent la lumière naissante, merci dame nature. Après quelques étirements signant définitivement mon éveille à cette journée, je reprends le chemin. Je suis toujours entourée de mélèzes et un peu en prise avec mon mental quand soudain un écureuil file devant moi ! De sa longue queue rousse foncée, il m’extirpe de ces pensées sans lendemain et m’amène à voir que la crête est juste à côté du sentier. Je m’y engage immédiatement, la petite présence rousse saute alors au-dessus de moi d’arbre en arbre. Je le remercie infiniment de s’être montré au bon moment. Ayant atteint la crête, je vois enfin le Pelvoux, ce sommet m’apaise. J’y vois un immense trône, me poussant à me saisir de mon sceptre et à m’aligner. Je joue avec les mélèzes pour me frayer un chemin, ce n’est pas aisé, mais être hors des sentiers et aller vers cet espace de jeu m’est immensément ressourçant. Je vois alors le village des Vigneaux, très plaisant vu d’en haut, il faudra que j’aille à sa rencontre. J’arrive ensuite sur une crête bien plus minérale, la roche est claire, et parfois d’un rouge soutenu, le gaz est bien présent, tout ce que j’aime. Je tâche de ne pas la quitter, mais la pluie des derniers jours à bien raviné, et le bord du précipice est parfois un peu trop instable à mon goût. Je fais parfois quelques écarts pour éviter cela. Le vent se lève. J’accueille cette fraicheur sur mon visage et ferme les yeux quelques instants. J’entends alors des bruits de pierres qui roulent (et n’amassent pas mousse… avouez que vous aussi c’est venu !). Dans ce joli cadre minéral et abrupte, je sais qui roule les cailloux de leurs pattes habiles… les chamois ! Je me penche pour observer et j’en vois immédiatement un en bas de la falaise. Mais le son m’indique une présence plus proche, j’attends patiemment, mais il est certain que je suis repérée depuis fort longtemps, je n’aurai pas le loisir de le voir. Qu’importe, je sens leur présence à mes côtés et m’en réjouie ! Je poursuis ma route des crêtes, et regarde très régulièrement le Pelvoux… il m’accompagne sur mon chemin. J’arrive à proximité de la croix de la Salcette, la crête des Lanciers, le Pic de l’Aigle et la Tête d’Amont m’attirent plus que de raison ! Je vais jusqu’à la croix, continue mon avancée mais mon cœur n’y est pas, il est dans ces proéminences rocheuses ! Il me faut pourtant renoncer, je suis seule sans aucun équipement et je ne trouve aucun topo sur une éventuelle traversée, c’est très probablement non franchissable. Je me dois d’être ferme avec moi-même pour ne pas m’y engager. Je profite néanmoins de cette somptueuse présence dont je m’approche avant de faire rebrousser chemin. Un « rognon » a proximité me donnera le change. Il est évidemment hors sentier et me permet à nouveau de filer une petite crête, je prends le temps de la pause, cachée dans un recoin, au calme du vent et bercée par le soleil.

J’arrive à proximité de la croix de la Salcette, la crête des Lanciers, le Pic de l’Aigle et la Tête d’Amont m’attirent plus que de raison !
Je descends un joli pierrier avant de rejoindre une forêt de mélèze. Quelle rencontre ! Elle est simplement divine!

Me sentant à nouveau en forme, je descends vers là où on cœur me dit d’aller, je ne sais aucunement si c’est franchissable ou non, je dois parfois un peu désescalader pour atteindre un palier plus bas, je me sens très animale en prenant ce chemin. Je suis mon instinct qui se délecte de la route prise. Je descends un joli pierrier avant de rejoindre une forêt de mélèze. Quelle rencontre ! Elle est simplement divine! La lumière chaude du soleil y scintille, j’ai ce sentiment profond d’être à la maison. J’effleure de mes fines mains les arbres, leurs douces épines viennent alors s’amonceler sur le sol, offrant une couverture moelleuse à la terre, et un doux matelas à mon enveloppe charnelle. Je m’y plonge, corps et âme, je laisse ici ce dont je n’ai plus besoin. Le soleil perce au travers des branchages et se pose sur mon visage, il me régénère de sa puissance. Le temps n’existe plus, je suis au bon endroit, je sais qui je suis. Je me relève, observe avec un nouveau regard ce qui m’entoure, mais quelle chance de se savoir chez soit quelque part ! Est-ce ici la fin de l’errance ? Non, je sais que cette sirène de la vie solitaire en pleine nature n’a pas de sens profond pour moi. Mon chemin de vie est clairement fait d’échanges et de partages, se sont eux qui me permettent d’avancer vers moi-même et m’ouvrir pleinement aux autres. La nature clémente me permet de me ressourcer et de faire le point sur les expériences vécues que j’absorbe intensément sans souvent savoir qu’en faire. Mon hypersensibilité me permet de vivre pleinement chaque seconde, mais il me faut des temps de pause et d’intégration que m’offrent ces écrins précieux. Je reprends le chemin de la descente non sans avoir remercié, maintes fois. En arrivant au village du Bouchier, je reste béate devant les maisonnettes anciennes, le village semble hors du temps. La piste y menant montre la rudesse du lieu. Les roses flamboyantes qui ont élu domicile en ce lieu, offrent en cette fin octobre, à qui sait le reconnaitre, que la rudesse apparente est parfois emplie de trésors.

Les roses flamboyantes qui ont élu domicile en ce lieu, offrent en cette fin octobre, à qui sait le reconnaitre, que la rudesse apparente est parfois emplie de trésors.

Je marche jusqu’au refuge où j’hésite à rentrer pour ne pas déranger, mais l’envie est trop forte ! J’ai sentie hier soir que Bernard et Laurence étaient deux belles âmes dont j’aurai aimé faire plus ample connaissance. Je veux aussi les remercier pour leur accueil qui n’a rien d’anodin pour moi en cette période de ma vie. Ils en sont au café et m’invitent avec une infinie gentillesse et simplicité à boire une tisane. Nous partageons ce que nous vivons, avons vécu. Nous abordons ces passages de vie qui nous poussent à quitter le confort d’une vie établie et sécurisante, pour aller vers ce qui nous fait vibrer au fond de nos trippes. Ils ont, eux aussi, tout quitté pour mener l’aventure dans ce refuge. Nous parlons de la difficulté de lâcher ne serait-ce qu’une journée le lien avec les réservations, de crainte de perdre de la clientèle. C’est phagocytant et exigeant de ne pas s’octroyer de temps de répits, d’autant plus dans ce mode de fonctionnement saisonnier. Durant 60 jours non-stop, ils se mettent à l’entière disposition de leurs hôtes 18h par jour. Cela me rappelle à nouveau le lien avec la sécurité. En effet, c’est bien de cela dont il s’agit, vais-je prendre le risque de faire une pause, sachant que je pourrais alors manquer certaines réservations ? Ou vais-je me donner de l’espace pour me retrouver après m’être tant offert ? Le manque à gagner va chercher loin dans nos entrailles… le manque tout court. Ces deux êtres sont d’une conscience aigüe et j’aime ce moment d’échange. L’idée m’effleure de rester une nuit de plus pour être avec eux plus longtemps, mais je n’ai pas envie de me retrouver dans un espace où je ne choisie pas mes semblables autour de moi. Malgré le beau chemin parcouru hier et aujourd’hui, je me sens vulnérable et j’ai besoin d’être entourée d’amis. Lucile et Antoine acceptent de m’accueillir à nouveau, je ne saurai les en remercier suffisamment, je ne sais pas s’ils ont conscience de l’immense cadeau qu’ils me font. J’arrive chez eux le soir, il fait déjà nuit et voyant le visage de Lucile illuminé de son sourire, je suis fort heureuse d’avoir pris cette décision de retourner chez eux. La soirée est abondante, nous parlons beaucoup et rions énormément, ces deux-là se sont bien trouvés, leur duo est très juste et touchant. Nous nous couchons fort tard, même en aillant grapiller 1h suite au changement d’heure. La nuit est plus troublée, le doute m’assaille. Je sens que je dois vivre ce passage parfois douloureux pour m’ouvrir pleinement à moi-même. Mais au cœur de la nuit, les difficultés me paraissent parfois insurmontables. Au petit matin, j’ouvre les volets, dehors il pleut dru. Les couleurs automnales mettent du baume au cœur, une petite demi-heure ensuite, la neige commence à tomber… quelle douceur… elle ne tient pas au sol aux abords de la maison, mais à quelques dizaines de mètres au-dessus dans la forêt se dessine une belle ligne. Lucile part une semaine avec une amie, avant de partir elle me propose avec une infinie gentillesse de rester chez eux. Ils savent que les instants que je traverse ne sont pas nécessairement faciles, et la tristesse me submergeant parfois, Lucile me prend alors dans ses bras fins et puissants, je m’y sens vraiment bien, petite fée sur mon chemin, merci merci.

3 Comments on “Fin de l’errance – partie 3

  1. coucou,
    Je me suis régalée à te lire -moi qui avait décidée de ne plus lire pour l’instant!- les mots coulent, les images viennent sans effort et je me laisse porter par ton écriture comme un poisson dans l’eau; c’est beau et c’est touchant parce que on sent que tu racontes au plus prés de ce que tu vis. Merci pour ces beaux paysages, ça m’a fait rêver!
    A bientot,
    Sophie

  2. Pierrette quel beau voyage si vivant, si précis et si profond ! Les mots s’enchaînent avec fluidité, petillance, et justesse . Je vibrais en lisant ton récit décrivant les paysages magnifiques où j’ai grandis 🌸
    Vivre le confinement dans ces belles montagnes quoi de plus beau! Je te souhaite un bon ressourcement dans ces belles vallees aux couleurs dorées et flamboyantes de l’automne bisous❤

  3. Pierrette quel beau voyage si vivant, si précis et si profond ! Les mots s’enchaînent avec fluidité, petillance, et justesse . Je vibrais en lisant ton récit décrivant les paysages magnifiques ou j’ai grandi 🌸
    Vivre le confinement dans ces belles montagnes quoi de plus beau! Je te souhaite un bon ressourcement dans ces belles vallees aux couleurs dorées et flamboyantes de l’automne bisous❤

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *