Pierrette Jouan
Partie 1 – Retour dans les Hautes-Alpes
Je ne sais quel élan me pousse à une mobilité incessante depuis mes 18 ans. Mais le fait est là, déménager à fait partie de ma vie depuis ma majorité. J’ai grandi dans une ferme, en bretagne, où la stabilité était de mise, puisque mes frères et moi sommes la 5ème génération de la famille à y avoir façonné notre enfance. C’est toujours un lieu dans lequel je me ressource, mais ce n’est pas chez moi, c’est chez maman. Elle est intrinsèquement liée à ce lieu, qu’elle a racheté alors que ses parents l’avaient vendu, cette ferme est indéniablement une partie d’elle-même. Pour ma part, j’ai parcouru des contrés, des Etats-Unis à l’Asie, en passant par d’autres pays d’Europe, sans compter le nombre de villes et régions françaises qui ont vues mes valises se poser. Mais j’ai toujours eu le modèle maternelle en tête, et je sais qu’au fond de moi j’ai toujours cherché LE lieu. Au milieu de ce périple, je me souviens avoir eu la nette sensation d’arriver chez moi, lorsque je suis venue pour la première fois dans les Hautes-Alpes. Était-ce l’appel des montagnes qui s’est fait entendre un peu plus fort? Sans doute. Une sensation d’errance s’est installée en moi à ce moment-là. Je vivais dans le Gard, mais mon cœur n’y était pas, une partie de mon être restait dans les montagnes, auprès de ses gens aux cœurs grands. Néanmoins, il n’est pas impossible que cette errance fut là depuis bien plus longtemps, sans être identifiée.
Depuis quelques mois, je n’ai plus de logis. Sans être subie, la situation me permettait une certaine liberté de mouvement dont j’ai eu besoin. J’ai eu la merveilleuse chance de rencontrer de belles âmes qui m’ont accueillie avec bienveillance dans leurs antres, montagnards ou non. Mais à présent, je sens l’immense appel à poser mes valises dans un logis qui serait le mien. La propriété au sens de la possession ne représente pas en soi, une fin pour moi. « Le mien » ne signifie pas qu’il s’agirait d’un bien m’appartenant, mais d’un lieu dans lequel s’animerait mon espace vital, mon espace de création, mon espace de Vie.
Ainsi, hier, j’ai pris le chemin des Hautes-Alpes, en quête de cet antre avec lequel partager mon quotidien. Ayant repéré quelques annonces, messages sont laissés afin d’aller à la rencontre de villégiatures potentielles. Une seule a donné réponse immédiatement (les vacances battent leur plein). La visite est surprenante, les lieux est aussi accueillant que repoussant ! Lorsque j’arrive à Vallouise pourtant, l’automne m’ouvre grand les bras, la brume valse avec les variations de teintes jaune orangé des arbres. Mon cœur se sent chez lui. En repartant de ce lieu, je suis troublée. Je sens si fort cet appel à vivre dans ces contrés que je tente de me convaincre : l’état de l’appartement peut bien s’arranger avec quelques menus travaux, et le voisinage… je les connais ces gentils bougres de là-haut, les querelles de voisinage sont légions, je ne vais pas me laisser impressionnée par cela… Je redescends cette route sinueuse et sublime…. Non, il me faut me rendre à l’évidence, ce n’est pas celui-là. La déception s’installe en moi. Mon ami Nicolas me parle à ce moment-là du couvre-feu. Je gare ma voiture au bord de la route. Je pleure. Je n’ai pas de maison, et il y a un couvre-feu. C’est l’automne, je sens l’appel de mon corps à entrer dans mon cocon, je suis prête à terminer l’errance, mais non. Ce n’était pas ce lieu ci. Et si je n’en trouvais pas ? En cet instant je n’ai pas confiance, je doute de tout, de mon envie d’être dans cette région, de ma capacité à trouver, des raisons qui m’ont fait errer tant d’années, est-ce réellement terminé ? Un logement retient particulièrement mon attention, mais aucune réponse malgré mon insistance, cela signifie-t-il que je me trompe ? Pourquoi cela bloque ? Mon mental s’empare de la situation et l’angoisse me pétrifie. Je prends le temps de la respiration pour revenir au corps. Je me sens si vulnérable… Je reprends tout de même la route, me focalisant sur la joie de retrouver mes amis Lucile et Antoine. Chemin faisant pour aller à leur rencontre, plusieurs arrêts seront nécessaires pour que je puisse respirer l’angoisse. Je comprends avec cette dernière qu’il est question de ce « chez moi » mais pas seulement. Cela va bien au-delà. Il s’agit de mon contrôle sur les événements de ma vie. J’ai quitté tout ce qui constituait mon confort il y a quelques mois : un compagnon aimant et rassurant, un emploi stable avec une très bonne rémunération, une vie bien organisée et confortable. MAIS. Mais une partie de mes choix de vie de l’époque étaient fondés sur des espaces d’insécurités en moi, des espaces construits sur des schémas répétés depuis des générations, des vies, cette vie. Je ne vibrais pas dans ce que je réalisais. Je sentais que ces choix n’étaient pas ceux de mon âmes, il m’a fallu partir à ma rencontre. J’ai donc abandonné sécurité et espaces connus, pour aller vers le nouveau. Ainsi depuis ces quelques mois, la notion de contrôle sur les évènements de ma vie est nécessairement moindre, mais tout de même, c’est un chemin en soi, de s’abandonner pleinement à cette confiance dans le lendemain. Cette notion, Florent me la susurre à l’oreille lorsque je l’appelle pour lui faire part de ma difficulté. La soirée chez mes amis est ce dont j’avais besoin, Antoine et Lucile sont à l’écoute et ont toujours le goût à l’humour. Nos discussions sont pleines de sens, mais le ton est léger et joyeux, ce qui me fait lâcher les tensions que contient mon corps. Il me semble que mes amis possèdent une bonne recette du langage, tout peut être communiqué avec légèreté. Ainsi se termine cette intense journée, laissant place à cette confiance susurrée.
Après une nuit bien entrecoupée de réflexion philosophique sur ma capacité à trouver ce logis, le matin sonne et nous allons faire un brin de ménage après le départ de locataire dans un chalet d’amis communs. Arrivée dans ce chalet, qui fut un rêve pour moi lorsque je l’ai vu pour la première fois, je sens aujourd’hui que non, ce n’est pas cela qu’il me faut. Le coté cosy et incroyablement bien fait et bien pensé du chalet n’y fait rien, j’identifie alors que la lumière m’est indispensable. Voilà qui ne fait pas mon affaire, encore un critère de plus ! Lucile part dans l’après-midi signé le bail du refuge dont elle est la fabuleuse gardienne avec Myrtille. Nous restons Antoine et moi à l’appartement, moi en quête d’un chez moi, lui en quête de grandes réponses… mathématique ? Son univers est bien loin du mien, et pourtant… nous nous comprenons bien ! Nous sommes assis l’un a côté de l’autre, chacun dans sa bulle, sans que le silence ne devienne gênant, c’est un immense cadeau pour moi d’être accueillie dans cette possibilité du silence partagé. Lucile recevant ses parents le soir, je ne veux pas leur imposer ma présence et prends alors une petite location sur Saint-Crépin. Avant mon départ je rencontre la maman de Lucile et son compagnon, les échanges sont courts mais sincères et très riches, le beau-papa de Lucile me demande avec bienveillance ce que je fais dans la vie, je parle de cette étape de vie que je suis en train de franchir, de mes écrits, il fait lecture de mes deux derniers textes. Je suis heureuse que quelqu’un que je rencontre à peine, puisse me connaitre par mes textes. Ce qu’il ressent de la lecture lui appartient complètement et je ne lui demande pas de retour, je suis juste heureuse de cet échange. Il a prononcé une phrase qui a résonné pour moi : « chaque individu à sa vérité, et un des grand enjeux de la vie est de l’accepter ». Je laisse cette phrase faire son chemin en moi, moi qui suis toujours réfractaire dès que je sens que l’autre entre, avec insistance, dans mon espace pour me convaincre, et qui ai pourtant passé une partie de ma vie à le faire avec les autres… J’avais (j’ai ?) un ancrage fragile, convaincre les autres du bienfondé de mes croyances sur lesquelles je me reposais pour m’assurer une forme d’équilibre m’était presque vital. J’observe ce schéma que j’avais bien rodé, je sens que ce n’était pas juste, mais cela m’a permis de « tenir » toutes ces années.
Je pars entre chiens et loups, et je sens sur le trajet que l’angoisse de la veille revient. La conversation avant de partir tourne autour de la pandémie et je sens les angoisses, elles me sont lourdes, car je n’arrive pas en toute situation à laisser couler. Dans ces cas-là je sens que je porte pour l’autre. J’apprends. Je sens que seul le contact avec la nature peut me permettre de poser les émotions, ainsi je gare ma voiture et pars marcher dans la forêt. Je sens immédiatement la paix s’installer en moi. La nuit va s’installer, alors je reprends tout de même la route. En traversant Briançon, je sens clairement l’angoisse qui reprend pied. Je m’en doutais un peu, mais cela m’est maintenant évident : je ne veux plus vivre en ville. Encore un critère ! La ville est l’endroit où je me sens le plus, seule au monde. J’ai pourtant eu le goût de la ville quelques années, même de très grandes villes, mais à présent il est clair que je sens que cet environnement ne résonne pas en moi. A contrario, lorsque je suis dans la nature, même s’il n’y a pas la moindre présence humaine à des kilomètres à la ronde, je ne me sens jamais seule. Je prends le temps du retour au corps, au cœur, pour apaiser mon mental, et je sens que « ça lâche » lorsque j’observe avec une légère distance la volonté de contrôler qui s’immisce à nouveau en moi. Arrivant dans le petit hameau de la location, je me sens immédiatement à mon aise et profite de ce petit antre pour me retrouver avec moi-même et prendre soin de moi.
Que voulez-vous que je dise ma Chère Pierrette ?
J’ai l’impression de vivre une aventure de Marcel Pagnol avec une sensibilité féminine en plus. Votre récit est un merveilleux film dans lequel on aime plonger et se laisser bercer par la beauté de son histoire !
Continuez d’écrire en gardant cette merveilleuse effervescence intellectuelle qu’est la vôtre !!
Je lis et j’ai l’impression d’être avec toi. Je vois tout, je ressens tout… tu as quitté un « travail confortable » , heureusement ! On gagne un écrivain! Bises chère Pierrette.