36 bougies

Bivouac à la pointe d’Almet

Une surprise. J’adore ! Ce samedi je vais célébrer pour la 36ème fois ma naissance et Florent m’offre en surprise d’aller bivouaquer, mais le créneau est serré. Le vendredi nous ne sommes libres qu’à partir de midi et le samedi, je dois partir à midi aussi, pour rejoindre celles devenues les femmes de mon clan, pour un voyage initiatique. Nous avons donc un créneau de 24h. La météo n’est pas reluisante sur le papier. Les diverses sources convergent vers une fenêtre sans orage de vendredi fin d’après-midi, à samedi milieu de journée, c’est juste ce dont nous avons besoin ! Néanmoins, il s’agit d’orages, qui plus est dans un environnement montagneux… certitude technique de ce créneau vers les 10% donc… Mais ! Cela n’entame pas le moins du monde notre enthousiasme et notre conviction d’aller dormir sous le duvet étoilé. Le vendredi matin nous préparons les affaires pendant que Florent m’expose son plan. J’adhère sans hésiter. Nous arrivons quelques heures plus tard au col des Annes au pied du massif des Aravis. Nous savons par ouï-dire qu’à la pointe d’Almet, il y aurait une place relativement plane pour caler grossièrement deux matelas de bivouac, alors cette pointe sera notre hôte de la soirée. Mais en lisant le terrain qui s’offre devant nous, Florent hésite sur l’accès. Peut-être était-ce de l’autre face qu’il fallait accéder. Celle-ci ne semble pas impossible, mais il est vrai qu’elle est taillée sèche ! C’est herbeux, mais en gardant le cap, nous allons prendre tout le dénivelé dans les jambes sans souffler ! Nous croisons le fermier d’une des deux ferme du col, et lui demandons (combien de bêtes dans son cheptel, si l’année fut bonne pour la production du fromage, s’il est heureux ! Je ne peux pas m’en empêcher !) si la pointe est bien accessible de ce versant, il élude cette question et nous prévient par contre des orages à venir, et nous conseille de rebrousser chemin. Je sens dans son regard l’incompréhension à faire une telle ascension… sans piquet de clôture, sans vache… mais quel intérêt ? Et ces deux zigotos qui s’engagent en montagne alors que l’orage arrive… le laisse plus que perplexe ! Nous percevons ce qu’il pense et cela fait douter encore un peu plus Florent. Pour ce qui me concerne, cette voie me va parfaitement. Et pour l’orage, nos deux ressentis convergent : nous aurons le temps qu’il nous faudra ! Et puis nous amenons le tarp avec nous, nous serons donc abriter si nécessaire. Nous entamons alors la lente ascension, allant tout doucement. Il faut dire que me concernant, les deux mois de pause me donnent physiquement du fil à retordre, j’ai perdu beaucoup de muscles, cela me prend du temps de les reconstituer. Il n’y a pas de sentier, et nous prenons au cap, seules les marmottes naviguent en ces lieux. Excusez-nous mesdames pour le dérangement. C’est un peu tôt pour la saison à cette altitude, mais les premières fleurs sauvages et médicinales font leur apparition ! Il n’est pas question de cueillette aujourd’hui, il nous faut avoir trouver où dormir assez tôt, car en cas d’échec, il nous faudra rebrousser chemin avant la nuit. Evidemment même si dans l’absolu tout est possible, je ne crois pas un seul instant à cette éventualité ! Quitte à être un peu en pente ou caler entre des rochers, c’est là-haut que je soupirerai d’aise vers le sommeil ce soir ! Le vent s’engouffre vers nous à l’approche de l’arête et lorsque nous la foulons enfin, le paysage devient somptueux.

La neige est encore présente et clairseme les pentes de sa blancheur. Nous arrivons d’abord sur la crête menant à la Pointe de Grande Combe puis continuons sur l’arête menant à la Pointe d’Almet, surmontée d’une croix. La montagne nous offre une course effilée autour de la combe des Fours à laquelle Florent ne pourra résister. Je profite de son escapade pour observer les alentours, et suis quelques chemins de bêtes pour sentir le sauvage battre en moi. C’est alors que je trouve une belle plume de rapace… quel doux symbole. Je me pause dans cette herbe généreuse, et profite de la belle énergie du lieu.

Ayant terminé son exploration des arêtes (en courant) Florent me rejoint. Nous prenons le temps de l’observation silencieuse de ce qui nous entoure. Deux grands rapaces se posent sur le fil de la montagne au loin. Florent m’informe que des Gypaètes nichent sur une falaise proche, je me prends à rêver d’enfin en voir un ! Ces oiseaux me fascinent. Le premier qui murmura leur nom à mon oreille fut Thibault, un ami passionné de vol, d’hommes et d’oiseaux. Aujourd’hui il veille sur nous là-haut. Il m’a fait découvrir bien des choses ce Vosgien habité par la montagne et par les hautes sphères. Avec Olivier, ils partaient parfois après le travail en randonnée, dormant dans leur sac de couchage accroché je ne sais où pour ne pas chuter, et revenais à ce même travail le lendemain ! La liberté qui l’habitait était une grâce et me nourrit encore aujourd’hui. Bien au-delà du drame, c’est aujourd’hui cette mémoire de lui qui m’accompagne sur mon chemin. Lorsqu’il me relatait ses bivouacs, j’avais les yeux pleins d’étoiles, mais je n’avais pas encore rencontrée la montagne comme je la rencontre aujourd’hui et cela me paraissait un rêve bien lointain. Et pourtant ce soir, je pense à lui, je pense à ces rêves qui un jour prennent vie. Quand je pense à lui aujourd’hui la tristesse à fait place à une douce mémoire quelque peu mélancolique, peut-être encore quelques regrets de n’avoir pas partagé assez… Mais je me sens surtout heureuse de l’avoir connu, il est des êtres dont la lumière ne s’éteindra jamais en mon cœur. Pendant ces douces pensées, le jour laisse place lentement au soir, nous cherchons alors un endroit pour installer le bivouac, il est rapidement trouvé en redescendant après la pointe d’Almet, sur un petit replat douillet qui nous tend les bras, direction la cime de Février. Là nous serons bien, j’en ai la certitude. Le vent se lève à nouveau et les nuages s’amoncèlent.

Mais je sais que la nuit sera étoilée. Je ne suis pas météorologue, mais j’ai cette confiance en les éléments, je sens leur douce caresse, ils sont avec nous, et les étoiles seront mon toit cette nuit. Pour nous protéger du vent et de la pluie éventuelle, nous montons le tarp et installons les matelas sur l’herbe soyeuse tapissant le sol. Avant d’installer notre lit pour la nuit, je fauche les orties présents, à cette altitude se sont des bombes nutritionnelle, je les dégusterais avec mes consœur de voyage. Certes nous sommes en juin, mais il fait bien frais à cette altitude et dans ces conditions, le repas est vite pris (je me note de suggérer délicatement de prendre le relais sur la composition des repas de bivouac ! Je ne suis pas tant fine bouche qu’estomac délicat qui m’en voudra un peu de ce repas ! Ce qui me fait plutôt rire, heureusement nous sommes en plein air !) puis nous nous roulons comme des nems (frileux !) dans nos duvets. Blottis l’un contre l’autre, nous cherchons à nous caler. Mais je suis gênée… Je ne vois pas le ciel ! Je veux bien la présence du tarp qui nous protège pas mal du vent, mais pas au niveau de la tête, je veux dormir avec les étoiles ! Alors je me décale afin de voir le ciel. Certes, à cet instant il est nuageux, nous aurons même quelques gouttes à venir nous chatouiller, mais je sais qu’il n’en sera point ainsi toute la nuit ! Nous nous endormons peu à peu, laissant Morphée nous saisir dans ses bras. Pour peu de temps ! Je me réveille régulièrement pour observer le ciel, peu après notre couché, les premières étoiles sont venues nous saluer, très discrètes d’abord.

Puis la nuit faisant son chemin, les yeux se sont ouverts au rythme des mouvements des nuages, jusqu’à ce que le ciel nous offre une voute céleste sublimement étoilée. Merci merci. Au-dessus du sommet des Aravis, trône Venus… couronnée de la voie lactée. Divin ! Et moi qui vous disait que j’aimais le symbole de la plume ! Me voici face à Venus, scintillante de mille feu, puissant symbole de la féminité, à l’aube de ce jour fêtant mes 36 ans et du début de ce voyage initiatique au cœur du féminin. Sublime. Je sais que je suis au bon endroit, sur mon bon chemin. Je savoure chaque instant de cette précieuse nuit.

Florent se lèvera plusieurs fois pour aller saisir en images cette nuit magique. Je suis touchée par cette manière qu’il a de vivre la photographie, rien n’est trop inconfortable pour lui, il est transporté par l’appel de l’image, habité par cet élan. L’aube naissante, la lueur de l’astre du jour pointe dans le ciel, je m’extirpe de mon duvet et m’habille rapidement afin de ne pas laisser au froid le temps de pénétrer mon corps. Florent m’entends bouger et suit le mouvement, en se saisissant immédiatement de son appareil, prolongation de lui-même. Je profite de cet instant d’éveil de la nature, pour procéder au mien et fais quelques mouvements pour réveiller mes muscles en douceur. Le vent est léger et maintien la fraicheur vivifiante de ces prémices du jour. Lentement, la lueur se fait plus intense. Et il se leva. Nous éblouissant dès le premier rayon. Florent, qui s’est éloigné derrière moi, me demande alors de continuer mes mouvements, mais de les garder immobiles quelques secondes,. Je l’imagine alors en train de capturer cet instant d’éveil dans la grâce de son art. Je me prête volontiers au jeu, surtout qu’il me contraint peu. Et finalement j’en oublie même les instructions et fais simplement ce que mon corps appelle. Florent ne dit plus rien, je le devine en train de se nourrir lui aussi de se lever de soleil. L’instant est précieux, j’en ressens la beauté dans tout mon être. Nous sommes sur ce replat, au milieu de cette douce arête, à plus de 2000m d’altitude, seuls, le soleil se lève au-dessus de la chaine des Aravis, nous offrant sa divine lumière, aujourd’hui j’ai 36 ans et m’offre de vivre pleinement cet instant.

Nous retournons à la pointe d’Almet pour profiter de la vue panoramique et observer la danse des nuages. Puis lorsque nous redescendons, nous nous activons pour préparer le petit déjeuner. Florent aura amené une belle brioche au chocolat pour y planter une bougie. Cette petite lueur qu’offre cette attention me touche profondément. Je souffle alors cette bougie et savoure le vœux fait qui, quelques mois après se réalisera. Nous déjeunons cette délicieuse brioche au chocolat tranquillement, je célèbre cette journée avec ton mon être!

Nous constatons tout de même que le temps passe et qu’il faut penser à redescendre, il me faut partir d’Annecy à 13h au plus tard et il est déjà 10h. Nous plions le barda non sans profiter de ces derniers instants en ces lieux qui nous ont fort bien accueillis, je remercie. Voyant la voiture en contrebas, nous décidons de ne pas reprendre l’arête faite hier mais de descendre au cap dans les pierriers. C’est la première fois que je descends rapidement dans un tel terrain, Florent me donnera de sages conseils afin de bien assurer mes pas. Je vois une ombre rasant l’amoncèlement de pierre, un vautour ! Puis deux, trois… sept ! Quelle chance d’être accompagnés par ces majestueux oiseaux, il symbolise la renaissance, le cycle de la Vie, et la Mort. Que serions-nous sans elle ? Chaque seconde est un cycle de Vie Mort Renaissance, sans cela le mouvement, l’évolution seraient impossibles. Nous continuons notre descente non sans suivre d’un œil leur traversée vers les Aravis. Juste avant l’arrivée, nous traversons des prés avec les paisibles abondances qui nous offrent le précieux nectar nécessaire au reblochon, je salive rien qu’à l’idée ! Ont-elles conscience de ce fabuleux environnement dans lequel elle paissent ?

Arrivés en bas, nous décidons d’aller chercher ce fameux fromage au col. Nous rencontrons alors les Hymer, Xavier et Stéphanie et le dernier né de la petite famille ! Quelle rencontre ! Ces deux-là sont passionnés. Nous bavardons tant et si bien avec Stéphanie que je suis clairement en retard mais tant pis, ces fromages sont un délice et l’entendre nous expliquer le fonctionnement de leurs fermes me réjouis ! Florent prendra même quelques morceaux de viandes, car il sent le respect que ces fermiers ont pour leurs bêtes. Stéphanie est d’un dynamisme et d’une joie fort communicative, et c’est avec cette humeur offerte par cette belle rencontre que nous terminons cette belle escapade. La magie de l’instant est encore présent en moi aujourd’hui, bien que cela fasse quelques mois que j’ai soufflé cette bougie. Il est des lieux, il est des êtres, qui offre à l’instant une dose supplémentaire, et ô combien précieuse, de divin à cette vie.

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