Pierrette Jouan
Partie 2 : Cheminant vers le grand Lac du Lauzet
La soirée est dédiée à l’organisation des quelques prochains jours, le fourmillement des êtres entre en pause demain soir, il me faut alors prévoir où , quand et comment pour ce temps. Mon amie Anne-Marie me propose d’aller dans son moulin cet hiver. Le moulin est un lieu qui a résonné en moi dès que l’on m’en a parlé la première fois. Il y a des lieux comme des êtres avec qui la résonance est forte. La première fois que je suis entrée dans le moulin, j’ai eu la sensation de retrouver un vieil ami. Pourtant lorsqu’ Anne-Marie m’a offert d’y passer l’hiver, je n’ai pas tout de suite sauté de joie. Le moulin, c’est aussi une maison isolée. Ma peur de l’isolement est néanmoins vite dépassée… ce lieu m’appelle ! Je prévois alors le soir de passer chercher mes affaires à Annecy le lendemain matin et de prendre la route pour le moulin. Pourtant, au réveil, je m’habille avec mes affaires de randonnées… et oui… impossible de me retenir d’en faire une dernière avant d’aller au moulin, encore un lac qui m’attire à lui ! Cela sera le grand lac du Pont de l’Alpe. Le vent est bien présent ce matin et je le sens s’infiltrer dans tous les recoins. Je m’habille bien et commence l’ascension. Il est tôt et le parking est déjà bien rempli, je ne suis pas là seule à faire le plein de l’énergie de ces hauteurs ! Une famille avec 3 jeunes enfants démarrent peu ou prou en même temps que moi. Je commence sur le sentier pentu qui borde la belle cascade, puis j’arrive sur le plateau où le magnifique sorbier accueille tous les randonneurs.
Je dépasse le joli petit hameau de l’Alpe du Lauzet, dans lequel les parents de mon amie Lucile ont un chalet d’alpage. Quel lieu paisible, je comprends tout à fait qu’ils aient eu le coup de cœur pour ce lieu ! Mais aujourd’hui, le vent est dense ! Il nettoie peut-être la profondeur des êtres. J’avance dans le cirque, vers le passage un peu équipé, une petite cheminée où la neige est tombée, je ne sais pas dans quel état est le passage, mais j’ai confiance. J’avance tranquillement vers ce passage et aperçois la famille toujours derrière moi, ils avancent tranquillement mais sûrement. Je croise alors un couple, les vêtements de la dame sont pleins de terre. Je leur demande si tout va bien et s’ils ont besoin d’aide. Elle me répondra que non, cela ne va pas du tout, elle a le vertige et n’a pas pu franchir ce passage. Son mari m’explique qu’on leur a dit que ce passage convenait aux personnes ayant le vertige. Drôle d’idée ! Mais je me demande si ce n’est pas un classique du coin, car la première fois que je suis venue dans ce passage, à la descente, une personne était bloquée de terreur vertigineuse. La dame est très déçue de n’avoir pas vu de bouquetin. En prononçant ces mots…. trois d’entre eux se présentent sur le versant en face de nous, elle se redresse d’un coup et reprend vie ! Que c’est beau lorsque la nature nous offre de transcender nos peurs ! Je les regarde terminer la descente, elle semble bien plus à l’aise, j’en suis bien heureuse pour elle. La petite famille les croise, j’entends des échanges au loin. J’imaginais qu’ils allaient peut-être faire demi-tour… que nenni ! Le plus petit doit avoir 4 ans, mais ils s’engagent tranquillement dans la cheminée. Je termine mon ascension de cette partie engagée, avec toujours ce goût de ne pas utiliser les équipements. Mais pour quelques marches, je n’ai pas le choix, trop de neige, ne pas les utiliser serait un risque de chute sans concession. Il y a quelques mois, je l’aurai fait sans équipement, car j’aurai juste mesuré le risque de mes appuis, je n’aurai pas pris en compte le résultat d’une chute. Florent m’apprend cela, à regarder mon environnement global, avant de prendre une décision. Là, la chute est totalement proscrite, et la neige est joueuse, je ne prends donc pas ce risque. J’arrive au lac, le vent est intense et froid ! Je me couvre mieux et m’approche du lac. Je m’y étais baignée il y a quelques mois, frais et fort vivifiant ! Je ne veux pas continuer sur le sentier classique et dessine un chemin sur le montagne qui me permet d’aller au bout du lac avant de retourner au pied des arêtes de la Bruyère. Je me retourne pour voir la famille arriver, bout de choux en tête de cette ascension ! J’avoue qu’ils sont un peu loin maintenant, mais j’aurai aimé les féliciter ! Je ne sais pas bien pourquoi cela me met tant en joie, peut-être parce que j’ai la sensation qu’ils offrent à leurs enfants un espace de liberté précieux… Je monte en hauteur du lac, avec cette joie au ventre. Je suis isolée, sur un chemin tracé uniquement par mon instinct, je retrouve des traces d’animaux, je suis à présent bien seule. Le soleil perce de ses rayons les nuages, qui baignent les montagnes environnantes, je crois reconnaître les Agneaux en face.
Cette sublime lumière m’ouvre un peu plus le cœur. Je ressens à nouveau la présence de la mort… de la vie, de cette danse entre les deux, à nouveau cette sensation de légèreté prend place en moi. Le froid me saisit mais je ne veux pas lutter, qu’il aille où il veut, je me réchaufferai rapidement en reprenant le chemin. Je me délecte de l’instant, laisse cette sensation me parcourir et m’emplir pleinement. Lorsque je ne sens plus mes mains, je me décide à me remettre en mouvement ! J’aperçois à nouveau des êtres humains, j’ai eu besoin de cet instant de solitude, pour me recharger complètement, mais à présent je suis bien aise de retrouver mes congénères ! Au pied des arrêtes de Bruyère, se termine la phase d’ascension. Je tente d’appeler ma maman pour partager avec elle l’immense beauté des lieux, mais le réseau ne passe pas. Un dernier regard sur le lac et j’entame de redescendre. Le vent est moins fort sur ce versant et nombreux sont ceux qui en profitent pour la pause déjeuner. J’échange quelques mots avec les gens, mais mon enfant intérieur (en accord avec mes genoux ! les coquins se sont ligués !) trépigne ! Trottiner dans la descente et dans le neige… bien trop tentant ! Yallah c’est reparti ! Je ne pensais pas manger mais des traces de bête m’attire vers un petit lac gelé, le lieu appelle à la pause, je sors alors mon bout de fromage et mon quignon de pain. La pause est douce car le soleil pointe ses jolis rayons à l’endroit où je suis.
Mais lorsqu’il repart à la découverte d’autres territoires, le froid est trop présent pour que je reste, je reprends alors mon chemin. J’arrive derrière deux personnes assez âgées, la femme est derrière et d’un coup chavire sur la gauche ! Ils sont dans un raidillon bien profond donc aucun choc, je lui demande si tout va bien, et elle acquiesce avec un grand sourire ! Et elle dit à son mari en rigolant « A gauche ! Heureusement que c’est tombé sur moi » et le mari de m’expliquer qu’il vient de se faire opérer de l’épaule gauche et qu’il ne doit absolument pas tomber dessus ! Les deux rient de bon cœur à cette scène, je leur réponds alors que madame vient de tomber à la place de monsieur pour qu’ils puissent encore gambader de nombreux sentiers ensemble ! Ils sont touchants. Nous arrivons alors sur un passage assez glissant. La neige fondante a créé un sol boueux, et les nombreux pas ont à leurs tours engendré de miniatures toboggans ! Pas sûr que ce passage soit facile pour eux. Je m’avance doucement, et reste à une distance raisonnable en cas de besoin. Les deux se débrouillent très bien, se sont clairement des montagnards eux aussi, ils n’ont pas besoin de moi. Je termine ma descente, trottinant et sautillant de joie. Je passe le hameau et salue les lieux avant de passer devant le sorbier, merci de ton accueil joli coloré. Je capte à nouveau le réseau et sens mon téléphone vibrer dans ma poche, et vois un appel manqué de maman. Je la rappelle immédiatement, en vidéo je vois ma tatie ! Maman lui prête ses mots car elle est très fatiguée et a de la difficulté à parler. Quelle joie de les voir toute les deux ! Je leur montre l’environnement, le joli mélèze qui borde la cascade et adouci le paysage, pour réchauffer de l’intérieur le corps qui a froid du vent, qui a froid de la douleur.
Je sens que Tatie est entre les mondes. Tatie, ce n’est pas ma tante, c’est une amie de ma maman qui a été très présente dans notre vie. Petit bout de femme, de son mètre 50, une force de rire et d’entrain ! Que de souvenirs… TOUT était sujet à rire, son rire même l’était ! Et ses expressions divines… « C’est nan naaaan !! » avec un délice dans la voix qui signifiait la douce saveur de ce qui était honoré d’un « nan naaaan » et son sublime « çaaaa fait péteeer » ! qu’elle pouvait asséner en n’importe quel lieu si le mets en question avait cette particularité… dont son fameux chili ! Je crois que la phrase « Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir » la définissait bien. Oui, j’écris à présent au passé. Tatie est partie hier matin lorsque j’écris ces lignes. Cela prend petit à petit place en moi. C’est tout un processus le deuil. Encore un peu de présent, où s’insuffle petit à petit le passé… Je sais et sens à quel point il est difficile pour maman de te dire au revoir Tatie, tu es si importante pour elle, tu emportes avec toi des années de complicité entre vous, tu es son indéfectible amie, vous avez été ensemble pour les pires galères, les pires joies, et les pires conneries ! Je dirais même de pétage de câble complet ! Les batailles de chantilly, d’œufs, les roulades bien arrosée sur la plage, mon dieu que vous avez ri ensemble ! Le rire comme une bulle de respiration face à la douleur. « Je me suis battue toute ma vie, mais cette fois, je n’ai plus envie. » ce sont les derniers mots que tu m’as offert Tatie. Les derniers mots. Quel immense cadeau ! Avec ces quelques mots, tu m’as ouvert à la possibilité du Choix de vivre ou de mourir. Tu m’a permis de comprendre cela. Et de pardonner à mes proches qui ont choisi la mort. Ma mémé, en premier lieu. Mes aïeuls ont parfois choisi la mort, devant l’immense désespoir et dureté de cette vie. Mais ils m’ont aussi offert la possibilité d’être là sur cette terre aujourd’hui. Parce qu’il a fallu que chacun d’entre eux disent OUI à cette vie, OUI à offrir la vie, qu’aucun d’eux ne manque à l’appel, pour que je sois ICI aujourd’hui. « Je me suis battue toute ma vie », Tatie, cette phrase résonne tant en moi. Battue contre moi-même dans tous les aspects de moi que je n’acceptais pas, battue contre les autres pour trouver ma place. La lutte de la Vie contre la mort, de l’égo et du mental contre l’intuition, de toutes mes dualités qui s’opposent, tout. Tout était prétexte à cette lutte. La lutte intérieure… la lutte extérieure… je connais tant Tatie. Pour toi, l’arrêt de la lutte signifiait l’arrêt de la vie, et tu m’offres de choisir l’arrêt de la lutte PAR et POUR la vie. Ton âme est prêt de moi lorsque j’écris ces mots, je sens ton amour, tu étais un petit bout de femme avec une immense bonté.
Voilà une journée qui commence bien !! Merci ma chère Pierrette