Pierrette Jouan
Partie 1 : Cheminant les Lacs Laramon et Serpent, dans la vallée de la Clarée
En redescendant de ma randonnée des lacs de Freissinières, je rallume mon téléphone et reçois un message d’Antoine… je vais devoir annuler le voyage chez maman, cas de conscience. Je devais prendre l’avion le lendemain matin, et cela faisait 10 jours que je trépignais de joie de la voir. La tristesse m’effleure, mais j’ai cette capacité à rebondir et maman aussi. Nous convenons alors de nous appeler tous les jours en visio, et d’être bien présentes l’une pour l’autre, cela en devient presque un jeu ! Je retourne alors à Névache rejoindre Antoine. Le lendemain je me saisis de l’instant pour aller randonner aux lacs Serpents et Laramon, au-dessus du refuge de Ricou, là où nous étions allés cet été avec Raph. Avec Antoine, nous nous occupons de faire la transition entre locataires pour des amis, ainsi, j’ai un créneau de 4h pour ma randonnée, c’est parfait. Nous faisons le ménage tous les deux, ce qui m’amuse, c’est drôle de faire le ménage entre amis, ce n’est pas une tâche que l’on partage souvent ! Je le dépose aux Roubions avant de retourner à la fruitière pour garer ma voiture. J’entame alors la randonnée, le site est bien peuplé ! Beaucoup de personnes se baladent, seules, en couples, entre amis, en famille, certains jusqu’au Refuge, d’autres poussent un peu plus haut… L’ambiance est calme, je sens que pour certains ces moments dans la nature sont une urgence à vivre, d’autres veulent profiter de ce que la nature les mènent vers leurs doux paysages intérieurs, ceux qui sont là ne sont pas vraiment dans la performance ni la solitude des grands lieux, c’est une journée spéciale et tout le monde partage ce bout de temps avec les âmes croisées. Pour ma part, je partage des regards et des sourires, mais je reste un peu dans ma bulle, je marche ce sentier car cela fait quelques jours que je sens une peur qui s’agite en moi, et c’est au cœur de la nature, au cœur de ses montagnes que tout s’éclaire en moi. Ce que nous vivons, la civilisation et la génération à laquelle j’appartiens, éveille en moi de nouvelles choses, et à ce moment présent, je sens que mon lien à la mort est en résonance. C’est une de mes réflexions : la présence de la mort, son imminence et son inéluctable apparition, dans cette société qui la cache, dans cette société où la mort n’a pas sa digne place. A tout mettre en œuvre pour la faire disparaître, faire disparaître la vieillesse, faire disparaître le risque qu’elle arrive, n’en sommes-nous pas un peu devenu mort vivant ? Cette réflexion n’est pas nouvelle et est bien maîtrisée par mon mental, et je sais qu’en prononçant ces mots, je ne lâche rien. Eventuellement je me rassure ? Pire peut-être : je dépose une jolie couverture de beaux mots, et n’accueille rien de moi. Je dépasse le refuge de Ricou où la vie bat son plein, de belles tablées sont installées pour manger, les gens profitent de ces lieux précieux, d’être ensemble. Je continue de marcher, la neige est déjà présente à cette altitude. Le temps est impétueux et à chaque instant il peut passer du grésil au soleil qui réchauffe les corps, d’un air doux, presque plat, à des rafales saisissantes… le temps en montagne est souvent très changeant, mais ces quelques heures m’offrent une palette qui prend des virages à 180° ! J’oscille entre t-shirt et bonnet/gants ! Cela n’entache pas un seul instant ma communion avec la nature. Au contraire. Je suis comme elle, ça bouge à 180° à l’intérieur de moi. Tels les lacets qui serpentent dans cette ascension vers les lacs, je chemine et serpente aussi à l’intérieur de moi. Vais-je choisir de vivre une vie LIBRE où la mort à sa place, une vie où la liberté est l’essence de mon être ? Ou vivre en précaution de ce qui pourrait m’arriver ? J’arrive au premier lac, le lac Laramon. La neige est déjà bien installée, pour mon plus grand plaisir, elle borde généreusement le lac ! S’immisce alors en moi une légèreté, bercée par la blancheur scintillante et la pureté qui recouvre la terre.
Je me sens d’une joie rieuse, et oui… il n’y a RIEN de grave. Ainsi la Vie est un grand mystère, une précieuse danse, une transcendance. Accueillir la vision que la Mort n’en est pas l’opposition, est un cadeau ! La libération pas à pas d’une peur immémoriale… Pendant des années j’ai non seulement nié la mort, mais aussi la peur qu’elle générait en moi. J’ai perdu une amie d’enfance à l’âge de 11 ans, je ne suis pas allée à son enterrement. Lorsque j’ai eu 18 ans, mon papa est mort. J’ai préféré ne pas voir son enveloppe corporelle baignée de cet état de mort. J’ai lutté fort à l’intérieur de moi pour crier haut et fort que je n’avais pas peur de la mort. Si. Si j’ai (eu ?) peur de la mort. A présent, suis-je en train de transcender cette peur ? Je me retourne pour accueillir mon passé et pour observer le paysage. Je vois comme les saisons se renouvellent. L’espace ou nous avions dormi à la belle étoile cet été avec Raph est recouvert de son manteau de neige. Se souvenir m’emplit d’une douce joie. Les deux lacs sont proches, il me faut peu de temps pour arriver au lac Serpent. Je sens ce mouvement reptilien en moi, et suis bien heureuse d’être soutenue par l’esprit des lieux. Je continue encore quelques mètres mon ascension. J’hésite à rejoindre le lac ou nous avions pique-niquer avec Raph. Mais les prochains locataires arrivent dans 2h petites heures ! Un rocher qui surplombe légèrement le lac m’attire, je vais donc m’y attabler pour le déjeuner avant de redescendre. Les rayons du soleil dansent avec les nuages et les montagnes environnantes, j’ai devant moi un panorama qui invite l’âme à l’apaisement.
Je reste quelques temps sur cette roche qui m’accueille. Moi et les cailloux… une longue histoire, celui-ci me fait du bien ! Après m’être ressourcée à ses côtés, je prends le chemin du retour. Dans ce sens, la vue est ouverte sur la vallée, et les montagnes de l’autre côté du vallon, c’est somptueux. Le temps oscille encore et toujours, m’offrant de superbes fresques mouvantes. Je craignais un peu la descente trop rapide car la neige s’est quelque peu transformée sous les nombreux pas, et laisse parfois place à la glace ! Je commence alors doucement. Rapidement mon pied s’habitue et commence alors une descente comme je les aime, en trottinant ! Cela me soulage les genoux qui lorsque je descends doucement couinent allègrement ! Et j’en ressens aussi le bénéfice de la joie de mon enfant intérieur qui se régale de ces descentes trottinantes… surtout avec la neige ! Les jolies glissades ne sont pas pour me déplaire ! Un peu au-dessus du refuge de Ricou, j’observe les mélèzes, je sais que ce sont les dernières aiguilles, que bientôt ils entreront pleinement en sommeil jusqu’au printemps prochain. Je prends le temps… comme pour leur dire au revoir et bonne nuit… doux repos hivernal, jolis arbres qui vous parez des plus douces aiguilles, pour la plus grande joie de ma peau, qui aime à se laisser caresser par vous.
Je sors de ce doux dialogue en arrivant à hauteur du Ricou, j’ai finalement mis 20 minutes à descendre, j’ai le temps pour faire une petite pause et même prendre un jus ! Enfin ça, c’est dans mes rêves, c’est le dernier jour avant la fermeture saisonnière, il ne reste que du rouge ! Pas que ce breuvage me déplaise, mais j’avais plutôt envie d’un jus de pomme ou de myrtille, d’autant plus que les jus du Ricou valent le détour ! Après quelques mots échangés avec Martin, je reprends le chemin et termine cette randonnée au milieu de familles venues se promener. Un couple en particulier attire mon attention, ils ont 4 enfants avec eux, jeunes enfants. Et le temps changeant, la neige, l’altitude, le dénivelé… ils sont là. Les enfants ont l’air tout à fait à l’aise dans cet environnement. Deux d’entre eux sont même bien devant les adultes et semblent discuter d’un sujet très sérieux ! Ils ne doivent pas avoir plus de 7 ans, cette image me ravit ! J’achève cette randonnée le cœur papillonnant de l’ouverture qui s’est créé en lui. Reconnaître ma peur de la mort m’ouvre à une certaine légèreté, comme une lutte qui s’apaise, un statut quo qui se met en place.
Vous m’avez touché en plein cœur avec ce récit… Plus que d’habitude..!