Pierrette Jouan
Lorsqu’Anne-Marie m’a proposé de passer quelques jours, ou l’hiver, dans son moulin, je ne me suis pas décidée d’une fulgurance. Allais-je être capable de rester seule dans une maison isolée? Je sentais une forme d’inconfort à cette idée, consciente tout de même du passage important que cela constituait pour moi. Il m’a fallu quelques jours et quelques centaines de mètres de dénivelé avant de pouvoir lui répondre. J’ai marché autour des thèmes de l’errance et de la vie, de la mort, pour toucher du doigt leur essence. La première fois que j’ai entendu parler de cet endroit, j’ai senti en moi une étincelle s’éveiller, sans saisir comment un lieu que je ne connaissais pas pouvait me faire ressentir cela. D’autant plus qu’en ce temps-là, je ne connaissais pas même Anne-Marie. Lorsque nous nous sommes enfin rencontrées, mama m’est apparue dans toute sa splendeur de femme généreuse, conteuse de son pays, avec son accent chantant comme nulle autre pareil… j’avais en permanence envie de me lover dans ses doux bras ! Un samedi midi, mama m’accueille en son au fameux moulin. Chemin faisant, la route se rétrécit dans les lacets montant vers le hameau. J’entre dans cette fine vallée le cœur curieux. Le hameau se matérialise enfin après quelques kilomètres et débute par l’accueillante chèvrerie. Je suis alors transportée en une fraction de seconde dans un monde à part, une bulle de temps et d’espace. De part et d’autre de la route sont installés quelques voisins qui prennent le temps de la discussion, ils nous saluent chaleureusement. Les maisons anciennes et robustes bordent cette route sinueuse. J’observe, en roulant, les montagnes, d’abord montagnettes aux abords, ouvrant en second plan sur de beaux sommets ronds et minéraux… quelle douceur en ce lieu, et à la fois quelle énergie ! La route prend fin pour laisser place à un chemin herbeux pour quelques mètres, qui me mènent jusqu’au bord de la rivière. C’est ici que la route s’arrête, je gare ma voiture et lorsque j’en sors, mon regard perce les environs pour capter l’essence du lieu. Tous mes sens sont alertes et mes capteurs, réceptifs des moindres signaux. Je porte mon attention vers les hauteurs, vers l’horizon que ce lieu m’offre. Je me sens à la fois portée par la montagne dans l’antre de son vallon, mais aussi quelque peu enfermée par le manque de lointain où le regard peut se perdre. Je concède néanmoins que ce manque est parfois nécessaire, je sais, je sens, que je vais en avoir besoin, même si présentement je ne me sens pas prête. Je baisse le regard et tombe alors nez à nez avec une belle bourrache, qui me rappelle à sa quintessence, la précieuse nous aide à dépasser le découragement face aux épreuves de la vie… le ton est donné. Je rencontre ce lieu où le végétal s’anime et détient une place honorable, arbres et fleurs jalonnent le chemin et descendent jusqu’au pont. Tout de bois vêtu, il permet le franchissement de cette rivière dont la puissance alimenta le moulin en son temps où les meules tournaient. En arrivant devant ce dernier, je lève les yeux, je le vois, je le sens. Bonjour gardien des lieux, c’est donc toi dont m’a parlé Anne-Marie, majestueux hêtre ! Fayard comme t’appelle mama… tu t’ériges droit vers les cieux, avec ce nœud à hauteur d’homme, et laisse courir ta frondaison à l’horizon prenant ainsi généreusement dans tes bras protecteurs l’ensemble du lieu…
En rentrant dans le moulin pour la première fois, je n’ai pas pris le temps de regarder l’extérieur autant qu’à l’accoutumée, comme une urgence à entrer, quelque chose m’attirait à l’intérieur. L’accès se faisant par la cuisine, c’est donc par cette pièce que j’accède en ton antre. J’en suis quelque peu perturbée, car je ne me sens pas à mon aise. Ecoutant mon instinct, j’entreprends néanmoins d’accéder aux autres pièces du moulin. En pénétrant dans la pièce principale, je sens un étrange sentiment m’envahir… mon vieil ami… je retrouve une vieille connaissance. Chaque recoin m’est familier, hors du temps, hors de l’espace du conscient, les liens sont déjà là, mon être entier le perçoit. Lorsque quelques semaines plus tard, un peu avant que le monde n’entre dans sa deuxième phase d’introspection, mama me proposa d’y passer un temps, je fis défiler les arguments du contre : l’hiver serait trop froid, absence de soleil pendant plusieurs mois, trop loin de mes amis… et pourtant… Je sentais cet appel fort ! Je décidai alors d’y passer quelques jours et d’aviser ensuite. Mama m’a offert ce précieux cadeau du choix, en plus de ce cocon douillet. Juste avant que je n’y arrive, elle m’a chuchoté de sa voix douce « tu vas voir, il se passe de belles choses au moulin ».
Lorsque j’y suis arrivée, la nuit était tombée depuis quelques heures, le petit moulin, de l’autre côté de la rivière m’attendait paisiblement. Le froid m’aidant à rentrer rapidement, j’ai d’abord enlevé toutes mes affaires de la voiture, et suivant les conseils de mama, allumé les chauffages en premier lieu. J’ai ensuite ouvert tous les volets, comme pour réveiller le moulin de la torpeur. Je suis restée active le plus longtemps possible, repoussant l’instant charnière. Je le savais en chemin, mais le repoussait d’autant plus. Il vint inexorablement. Il vint, l’instant où l’agitation n’a plus lieu d’être, où remplir le vide ne peut plus faire sens. Seule avec moi-même dans ce nouvel environnement, pas d’ami, pas de famille, pas de téléphone, pas de réseau, pas internet… Seule. J’ai senti les larmes parcourir mon être pour s’achever dans mon regard… une à une les larmes ont coulé, mon ventre s’est serré. J’ai regardé autour de moi, aucun repère, aucun point d’ancrage facile. J’ai erré entre les larmes encore et encore… un cri de panique, un vide en moi, profond, étourdissant… l’abysse intérieure, vite surtout ne pas la laisser s’installer… Je pleure, mais je ne lâche pas tout, je me suis construite sur ce schéma de lutte, je lutte alors pour ne pas sombrer, je me bats. Mais là l’étincelle… Je travaille à me libérer de blessures, des schémas de survie que j’ai mis en place pour ne pas sombrer, mais la vie m’offre de les regarder, pour les transcender… je ne peux, ni ne veux plus me battre contre moi-même, c’est là en moi. J’arrête de me mettre des coups sur ce que je contiens, sur l’être que je suis, même sous les angles que je n’ai pas encore embrassés, même sur mes zones d’ombres. J’ai plongé dans l’inconnu. Je sens que je touche là une peur profonde, de celle qui constitue l’être tant son ampleur est ancrée et répandue. Je ne sais pas encore bien comment faire pour m’accueillir telle que je suis, avec maladresse, je fais de mon mieux… je me berce et berce mon enfant intérieur que ce vide terrorise. Je laisse les larmes couler, pour toutes les fois où je les ai refusées, pour toutes les fois où je me suis dit «non, ce n’est pas le moment, pas en face d’eux, pas maintenant » pour toutes les fois où je n’ai pas osé, pour toutes les fois où je me suis imposée d’être forte, pour toutes les fois où la peur de sombrer m’a submergé, pour toutes les fois où je n’ai pas accueilli ma douleur, où j’ai nié la difficulté, pour toutes les fois où je n’étais simplement pas prête. Je laisse couler, je laisse le vide s’installer. Je vacille puis m’assois. Vivre cet instant est une petite mort, la solitude, vécue comme la peur d’être abandonnée. Merci, merci à cette confusion, à ce parallèle de m’avoir permis de toucher cela du bout de mon âme, du bout de mon être… « La peur de l’abandon », dans la première phase de ma vie j’ai d’abord lutté contre la peur, puis dans une seconde phase, j’ai cherché ce que je pouvais en faire. La peur de l’abandon, mille fois le mot est lu, mille fois la peur est décortiquée, mille méthodes sont préconisées. J’en ai essayé de nombreuses. Un premier accès du conscient. Bien maitrisée par le mental, la peur est masquée, mais pourtant bien présente dans les viscères, dans les profondeurs de l’être. Je l’ai lu et entendu tant de fois « il faut accueillir la peur »…. Oui très bien, alors je l’ai fait, mon mental a joué la partition à merveille, il a accueilli cette notion à son niveau. Merci à lui de m’avoir permis cette première rencontre. Ici s’amorce l’accès à la profondeur de mon être. Alors à pas de louve, je m’apprivoise doucement, me contacte dans mon entièreté, « ah ? Tu ne luttes pas ? ». J’expérimente une ouverture en moi. Le vide est, et pourtant je suis. Je ne suis pas morte, je ne suis pas devenue folle, le vide est, et pourtant je suis. Comme avant et pourtant… tout est différent. Le vide est, et je respire, peut-être même un peu plus fluidement. Je laisse les larmes couler, je laisse l’espace se libérer. Je n’ai pas allumé le poêle ce soir, pensant qu’il était trop tard pour le faire. Il fait froid, je ne peux parler ou écrire à personne, je suis juste seule avec moi-même. Je tente de m’apporter tout le soutien et la chaleur dont j’ai besoin. J’apprends, de chaque jour que je marche. Je ne laisse rien échapper à l’éveil de ma conscience d’être. Dans cet instant de difficulté, ma foi vacille, je le sens, vais-je y arriver ? La difficulté me parait immense tant l’espace qui se libère est grand, est-ce ainsi que se passe le processus de libération de mes peurs ? Je l’ai expérimenté à plusieurs reprises. Mes peurs sont une partie de ce qui a structuré mes schémas de vie, de survie. L’animus qui est en moi s’est accroché à ce qu’il y a de plus primaire, la présence du danger à structurer les peurs. J’observe à chaque fois que l’une d’elle se libère, que je traverse une forme de dépression, une phase de deuil du connu. Mon mental très actif m’a offert d’observer finement les schémas de peur, les habitudes générés des souffrances et des blessures, mais il m’a fallu du temps pour accepter de ne plus lutter contre. L’attrait urgent de la perfection m’y poussait. Je me suis construite dans la nécessité impérieuse de prouver ma valeur, de prouver que je valais mieux que mes bourreaux. Reconnaitre mes ombres et tout ce qui me constitue, dans les moindres parcelles de mon être, est un chemin d’abnégation et d’ouverture à ma propre compassion, dans son infinie sollicitude. Les larmes se sont taries pour ce soir, je monte les escaliers et trouve dans la bibliothèque qui le jalonne des BD d’Astérix et Obélix. Comme un automatisme bien rodé, je me saisis de la BD et je pars m’y réfugier. Ces deux personnages vigoureux, sympathiques et légers, qui surmontent toutes les difficultés avec aisance m’ont aidée à m’évader dans ma période douloureuse d’adolescente blessée. Ils me bercent d’une certaine illusion, mais cette dernière me permet de survivre. En cette nuit difficile, je fais à nouveau appel à cette force et cette légèreté. Ils m’accompagnent jusqu’à la porte des rêves, qui sont mon autre refuge, l’espace où mon inconscient m’aide aux changements, à un rythme ténu.
Je me réveille le lendemain en saluant humblement les lieux, accueillie par les mésanges qui peuplent le fayard, puis directement chercher de quoi me reconnecter. Je sais que je ne viens pas, en une nuit, à parvenir de libérer la peur de l’abandon. J’apprends en premier lieu que l’évolution intérieure et profonde prend du temps, que l’être et le corps en ont besoin. Dans l’espace où j’apprends le respect de moi-même, c’est un des éléments qui se met en place doucement. Je m’autorise alors à marcher ce chemin vers mes douleurs, mais à le marcher pas à pas. Ainsi pour ne pas être confrontée trop brusquement à la solitude, je vais donc chercher un boitier me connectant notamment à ce qui remplit le vide tant redouté. Je ne peux ni ne veux le vivre de façon continue, ma psyché n’y résisterait pas. Pourtant, la connexion au reste du monde ne sera pas possible immédiatement, pas le bon papier, et le lendemain, rupture de stock. Le message est clair, quelques jours sans… Alors j’achète. Une théière, des tasses, des coussins, des tapis. J’ai conscience qu’il s’agit d’achats « doudous », et les considère comme tels, je m’apporte de la douceur avec la matière, je ne sais pas encore faire autrement. Je n’oppose pas le « matérialisme » à l’essentiel de ce que je dois vivre, je suis faite de chair et de sang, je suis dans la matière, ce matérialisme, j’en ai besoin. Quant à l’acte d’achat, de consommer, de posséder, je sais que cela n’existe que collatéralement à un autre besoin en manque d’accomplissement, je ne me focalise pas dessus, car il n’est que la partie émergée de l’iceberg, et je navigue en profondeur. En rentrant au hameau, je croise la route de Fred, il garde les chèvres pendant les vacances des bergers. Je retourne à sa rencontre quelques heures plus tard à la chèvrerie pour l’achat de fromage. J’y rencontre sa compagne Emilie et leur fils Abel ; je me sens moins seule, je me sens accueillie et j’ai de délicieux fromages pour me contenter. La soirée est plus douce, les temps de mouvements et les temps de pauses alternent. Le lendemain, je pars dans la nature, je prends contact avec les lieux. La colline au-dessus m’offre un écrin précieux où je reprends profondément racine, les arbres me montrent. J’accepte un peu mieux l’inconfort de ma situation en plongeant mes racines, je m’ancre et me nourris de ce terreau que m’offre le végétal.
Un tapis d’orties s’offre à moi. Je les cueille non sans leur autorisation et dans le plus grand respect. J’écoute leurs messages. Chargés de précieux minéraux… le minéral, matière originelle… poussant les uns proches des autres… Seul, aucun ne survivrait, ils ont besoin les uns des autres, ils se nourrissent les uns les autres. J’entends. Les origines, les liens. Le soir au creux des ombres, j’allume les bougies pour mes ancêtres. Merci. Merci d’avoir été, d’avoir perpétué la Vie jusqu’à moi, quelle qu’aient été vos difficultés, quelles qu’aient été vos peurs, vous avez dit oui à la Vie. Je sens les éléments de transcendance hérités, battre en moi, et je sens leur soutien, leurs subtiles conseils. Au crépuscule, j’entre en lien, aidée de cet instant où les voiles entre les mondes s’affinent, nous sommes le premier novembre. J’allume les bougies, écoute, honore et remercie.
Au réveil, je descends les escaliers et comme chaque jour au moulin, j’ouvre la porte et sors sur le palier pour saluer les lieux, les présences. Bonjour puissant fayard, bonjour petit moulin. Mon regard est attiré dans l’angle, sur la petite table contre la maison, une cagette de pommes du jardin! Un joli petit mot de mon voisin Michel l’accompagne. Michel est l’âme née en ces lieux. Ces pommes et se gestes représentent beaucoup pour moi. Comme la rencontre de Fred, Emilie et Abel, il me ramène à une certaine réalité : je ne suis pas seule. J’ai conscience que je ne suis jamais seule, je suis très bien accompagnée dans le subtile, en lien avec mes proches, même à distance. Mais ne pas me sentir seule physiquement, dans le présent m’est une précieuse aide. Cela me donne l’élan du mouvement. Je pars alors sur le chemin qui continue le vallon. J’ai pris mon sac à dos, avec le nécessaire pour une journée de randonnée, mais aussi un sac en toile que j’ai suspendu autour de mon cou. La journée est belle et douce. Il m’est toujours important de me mettre en mouvement, pour intégrer mes expériences de vie. Marcher, aller vers les hauteurs, sentir l’âme vivante et vivifiante de la montagne sous mes pieds, sentir sur murmure me parcourir l’échine et me délivrer sa connaissance… Mes cellules vibrent le renouveau à son contact, elles se permettent plus aisément de mourir et de renaitre. De vifs églantiers bordent le chemin, c’est ici que la présence de ce sac de toile s’explique ! Je prends les baies arrivées à maturité, elles sont encore peu nombreuses, mais qu’importe, j’en ferai déjà les premières confitures. Le geste ancestral de cueillir me permet intuitivement de rentrer en contact avec la plante. Mes chers cynorhodons, vous qui êtes chargés plus que quiconque de cette fabuleuse vitamine C, lorsque les épreuves s’étirent en longueur, vous êtes là pour soutenir cette distance. La plante de l’endurance par excellence, tes baies sont mûres et propices à offrir leurs soutiens après les premières gelées, tu deviens alors tendre et douce, et offre toute ta puissance à qui se nourrit de toi. La dureté de tes baies te quitte après cette petite mort du froid, et tu t’ouvres alors à ton essence nourricière. Pourvue de saillantes piques, tu m’offres d’expérimenter la lenteur et la délicatesse pour accéder au divin fruit. Si je pars dans mes pensées et reprends le rythme inapproprié, l’épine dans la chair me rappelle l’apprentissage. Mon ascension se fait délicatement donc, au rythme des fruits se proposant à ma cueillette. Arrivant à la cabane du berger, une crête de roche m’attire. Je regarde sur la carte, pas de sentier. Qu’à cela ne tienne, cette voie sonne comme une évidence. J’avance alors avec le corps réveillant ses sens. Sur le terrain pâturé bordant cette crête, des rosés des prés se présentent. Dans le règne végétal, les champignons sont par excellence le symbole de ce qui se nourrit de la mort. Toute fin ouvre à une renaissance. J’ai un mental puissant qui s’abreuve des mots, les plantes elles, me font sentir la vibration. Mais en ce jour, rosés des prés, je vous cueille sans bien comprendre votre message, je ne suis pas encore mûre, je n’ai pas encore eu mes premières gelées de l’année, telles les roses sauvages. Ils ne m’en tiennent pas rigueur. Je laisse les plus petits afin qu’ils finissent leurs croissances. J’atteins l’orée de la crête, la roche est visible, je m’élance à son contact. Je sens l’animus qui coule en moi s’approchant à pas de velours de mon anima en reconstruction de ses blessures. L’espace qui m’entoure est immense et j’aperçois les arêtes qui éveillent ma curiosité, que vais-je trouver de l’autre côté ?
L’ascension n’est pas aisée, pas de sentiers, même de bêtes, je tente de rester sur l’arête pour la simple fierté de pouvoir le dire. La performante en moi a encore une place, de plus en plus ténue, mais elle est là, sans elle, je ne sais pas comment attirer l’attention dont j’ai encore besoin. Je me laisse porter par mon élan et lâche l’idée de persévérer précisément sur la crête, j’en contourne certains pans pour ne pas me mettre dans une situation dangereuse. Je marche parfois sur des tapis végétaux, sur l’un d’eux je m’agrippe pour franchir une marche, une plume est posée à côté de ma main. Elle est vieille et immense, je n’avais jamais vu de diamètre de hampe de cette ampleur. Je prends de ma main fine la plume patinée par les jours. Quel est cet oiseau qui me confie sa liberté ? Merci. Arrivée au sommet, je regarde la carte pour savoir où je suis. Je viens de chevaucher la crête des Dames.
Aurais-je ainsi effleurer la surface de l’âme ? Le féminin du lieu ne m’avait pas échappé. Je plonge mon regard dans le versant qui s’offre à moi, il est sombre et clairsemé de neige. J’attendais de la douceur, je reçois de la rugosité. Je plonge dedans.
J’avais trois options : retourner d’où je viens, prendre le vallon herbeux à l’est ou plonger dans l’ombre enneigée à l’ouest, recouverte de végétaux ne permettant aucune analyse du terrain à priori, et donc aucune maitrise, car la vue est tout de suite calfeutrée par les premiers arbres. Le cœur bat, il sait déjà… mon chemin est celui sans maitrise, celui qui me permet de m’ouvrir à l’inconnu. L’oiseau, a déposé en moi le goût du sauvage, de l’insaisissable, comme une subtile et nouvelle liberté d’être. La pente est telle que, quelques mètres après le départ, je dois déjà avancer en crabe. Les mains, au même titre que mes pieds, sont des appuis essentiels, je m’accroche pour ne pas glisser. Chaque mètre parcouru ouvre sur un nouveau monde de choix. J’arrive parfois devant des à-pics rocheux, contourne le vide, férocement agrippée aux végétaux qui m’aident précieusement. Parfois la neige recouvre le sol et je dois la balayer pour mordre le sol ferme et ne pas chuter. Le faisant, sur ma droite j’entends un bruit sauvage, un oiseau jaillit du lieu sonore ! Il est gros et s’envole avec une aisance toute relative, il est noir avec du blanc sur la tête, je ne l’identifie pas clairement même si quelques noms trottent dans mon esprit. Je n’avais rencontré aucun animal et ne m’attendais pas à déranger l’un d’eux dans son antre. Je m’excuse du dérangement mais je suis surtout comme une enfant à qui l’on vient d’offrir un cadeau rare ! Je te rencontre grand tétra, tétra lyre ou qui que tu sois, pour la première fois. J’ai cette sensation d’avoir découvert un trésor. Je termine ma descente de ce passage sauvage d’accès incertain avec une certaine légèreté, bien que mon attention ne faiblisse pas. J’arrive devant le sol dégagé et perçois le col. La partie la plus engagée en bientôt terminée et j’en éprouve un soulagement. A présent je m’offre la douceur de la descente dans ce vallon herbeux que j’entame après le col. J’aperçois au loin une forme de pierre en cercle, un peu après la cabane du berger vers laquelle je reviens. Je suis intriguée par ce cercle et m’en approche. Les roches sont bien implantées dans le sol, cela ne fait un certain temps que ce cercle est constitué. J’approche avec intérêt, mais lorsque je franchis le cercle, je me sens assaillie. Non, non. Pas cette fois, je ne veux, ni ne peux m’ouvrir à tous les univers subtiles trop rapidement.
J’en ressors alors immédiatement. Les lieux contiennent des emprunts des temps passés, de ce que les hommes y ont imprimé. Ici je ne veux pas aller voir les motifs laissés, pas cette fois. Je redéfinis les limites et les contours de mon être, je sens l’appel, mais dans le respect de moi-même, car je ne suis pas prête, je refuse d’entrer en lien. Je redescends vers le petit moulin qui m’accueille de son manteau protecteur. Ici je sais que je vais pouvoir déposer ce qui n’a plus lieu d’être en ma vie et laisser place à ce qui renaitra de ces cendres.
C’est captivant ! Merci.
Merci Pierrette pour ce beau récit . Les mots défilent avec fluidité précision et légèreté.
Cest beau ! Je me sens complètement absorbée et protégée comme dans un cocon en lisant ton texte plein de sincérité . Une magnifique plume !!! Bisous du coeur
Très très beau texte. On s’y croirait et ça fait beaucoup de bien. Bonne continuation Pierrette.
Merci Céline, bonne continuation à toi